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Erwan Jauffroy : naviguer sans voile et sans moteur

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Crédits toutes photos : Julien Bru films / Foil Crossing Challenge.

Erwan Jauffroy vient de signer un nouveau record avec une navigation de 156,5 km, réalisée sans voile, sans moteur et sans arrêt entre Martigues et La Croix-Valmer. 6h35 en lévitation sur le seul foil de sa planche.

Marine & Océans republie ici le récit qu’il avait fait dans nos colonnes de son premier exploit réalisé en juin 2024 entre Toulon et Calvi en Corse.  Toulon-Calvi sans voile et sans moteur !

Par Erwan Jauffroy

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Qui l’eut cru ? En juin dernier, j’ai traversé la mer Méditerranée de Toulon à Calvi en volant sur mon foil, sans voile et sans moteur, juste en surfant les vagues pendant 12 heures sur 134 nautiques. Impossible ? La preuve que non, même si cela n’a pas été facile. En revanche, les perspectives sont potentiellement énormes et ce n’est que le début !

Voler sur l’eau en suivant les vagues comme un albatros dans les mers du sud, même avec l’habitude, cela paraît toujours un peu magique. Pourtant, le vol en foil n’a rien d’un tour de magie. Comme un avion reste suspendu dans les airs grâce au déplacement de ses ailes dans l’air, mon foil me soulève sur ma planche grâce à la portance générée par le déplacement de son profil dans l’eau. Pour obtenir cette force verticale suffisante, je prends de la vitesse à la rame. Une fois en l’air, les frottements étant réduits à leur strict minimum, il suffit de très peu d’énergie pour entretenir la vitesse et donc le vol. Comme un planeur joue avec les masses d’air, le foiler cherche à utiliser la pente et l’énergie des vagues afin d’entretenir son déplacement. Dès lors, grâce à des géométries et des constructions de foils optimisées, une bonne dose de concentration et un peu d’investissement physique pour contrôler tout ça, les milles nautiques peuvent défiler.

Le défi

Le concept n’est pas si nouveau et cela fait plusieurs années que les pionniers de cette incarnation du « surf sans fin » effectuent des distances de plus en plus marquantes le long des côtes. Restait à se lancer au grand large pour relier deux territoires. Résident à Toulon, territoire béni de Dieu pour la pratique des sports nautiques et lieu de départ des ferries vers la Corse, l’ile de Beauté m’appelait. Après une préparation méthodique de près d’un an, je me suis lancé en juin dernier pour tenter d’accomplir ce rêve aussi symbolique qu’ambitieux. Pour être honnête, s’y j’étais convaincu de pouvoir y arriver, peu de gens y croyaient et il fallait être sacrément visionnaire pour me faire confiance et me suivre dans ce projet. Je dois une fière chandelle à SEAir, un bureau d’étude pionnier et expert pour faire voler les bateaux à moteur, au Yacht Club de Toulon, à la ville et à la métropole toulonnaise et à mes équipementiers F-One et Soöruz, qui ont cru dans ce projet fou. Pour autant, même assis sur une grosse préparation et avec tous les appuis créés pour réduire l’incertitude énorme d’un tel projet — qui plus est dépendant de la météo — le saut dans l’inconnu a forcément livré son lot de surprises. La première d’entre elle a été l’état de la mer au-delà de 20 milles nautiques de la côte. Malgré des creux de 3 à 4 mètres, la pente des vagues restait faible, leur vitesse augmentait et ces deux facteurs couplés à une mer croisée, m’ont compliqué la tâche. Le niveau d’implication physique et de concentration requis pour lire la mer et trouver ma trajectoire, qui plus est avec le soleil dans les yeux, se sont révélés bien supérieurs à tout ce que j’avais expérimenté sur mes entraînements. J’ai également été surpris par la fraîcheur de l’air au large. Tant et si bien qu’après seulement une cinquantaine de km, soit une formalité d’habitude, j’ai été saisi par mes premières crampes. Avec du recul, la crispation liée à la surprise des conditions de mer et le froid en étaient la cause. Mais avec 200 km restants à parcourir, il m’a fallu activer le “mode survie” bien plus tôt que prévu. Pour tout dire, je n’ai même pas osé le dire à la radio à mon équipe… Enfin, sur l’eau, lorsque je ne voyais plus la côte, soit les trois quarts du temps, le manque d’objectif à court terme a aussi été très difficile, car j’avais l’impression de ne pas avancer. Ce sentiment a atteint son paroxysme lorsque j’ai rêvé de transformer les milles restants en kilomètres. Heureusement, j’étais bien préparé à tout ça et bien entouré aussi. Mais finalement, mentalement, la plus grande difficulté de ce projet a sans doute été son montage et son financement. Malgré les belles valeurs du projet et l’intérêt des vrais marins, très peu de décisionnaires y ont cru. Il fallait une détermination sans faille pour ne pas baisser les armes !

Quelles perspectives ?

Le foil n’est pourtant pas complètement nouveau et l’on voit bien comment il révolutionne la voile de compétition et le nautisme en général. Chercher à utiliser l’énergie des vagues lorsqu’elles sont favorables pour se déplacer sans voile et sans moteur, ou en économisant de l’énergie…, il y a clairement un truc à creuser. Pour ceux qui seraient sceptiques sur le fait de ne pouvoir aller que dans le sens des vagues, il faut rappeler qu’à l’époque de Christophe Colomb, les caravelles avaient aussi du mal à faire du près… Mais la créativité humaine en matière d’innovation a permis de trouver des solutions. Il ne faut donc rien s’interdire.  Au-delà de l’aspect « défi physique et mental », j’aime partager trois enseignements de cette traversée historique. C’est d’abord l’incroyable capacité de l’être humain à innover. Lorsque les ingénieurs peuvent exprimer leur créativité, ils inventent des choses vraiment étonnantes. Ensuite, à partir du moment où l’on vole sur l’eau, on n’a vraiment pas besoin de beaucoup d’énergie pour avancer. Ça change tout. Enfin, c’est que la mer et ses mouvements constituent un réservoir d’énergie énorme qu’on n’a pas encore tellement exploré pour la mobilité, bien qu’il soit à disposition immédiate. J’imagine qu’en suivant ces trois pistes, on peut aller très loin.

C’est quoi la suite ?

Si en termes d’applications pour le transport maritime, le chemin est sans doute encore long avant de voir des cargos voler, pour de plus petites unités, nous y sommes déjà ! Personnellement, je souhaite continuer à sensibiliser l’opinion publique et montrer que quand il peut chercher et exprimer sa créativité, l’humain est incroyable dans sa capacité d’innovation et de résolution des problèmes. Je pense que mes défis incarnent cet état d’esprit. Si ces valeurs de développement durable, d’audace, de sens marin, d’innovation, de dépassement de soi vous parlent, alors je serais ravi de vous embarquer avec moi dans mes prochaines aventures. Après avoir, en 2024, relié deux territoires et touché plus de 10 millions de personnes, en 2025 je tenterai de relier deux pays ! Évidemment, le nerf de la guerre de tout cela c’est le financement, non seulement pour réaliser techniquement les défis mais aussi et surtout pour faire passer les messages dans la société et partager les valeurs de mes projets au plus grand nombre. Je crois en plus qu’ils méritent d’être entendus !


Erwan Jauffroy, 43 ans, a été windsurfer professionnel et directeur des rédactions de plusieurs médias dont Wind Magazine. Il est le créateur et l’animateur reconnu de la chaîne YouTube Watersports zone où il distille ses conseils aux adeptes des sports nautiques. Il est désormais également, depuis le 12 juin 2024, le premier homme à avoir fait la traversée continent-Corse en foil, sans voile et sans moteur.

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