Illustration récente de cette tendance: l’annonce du rachat prochain du plus gros armement thonier français par un groupe néerlandais. Parlevliet & Van der Plas (P&P) a annoncé mi-mai être entré en négociations exclusives pour acquérir la Compagnie française du thon océanique (CFTO), basée à Concarneau.
Les 14 bateaux, bientôt 15, de la CFTO, sillonnent les océans Atlantique et Indien en quête de thon tropical. L’entreprise de 285 salariés, en difficultés, représente 60% de la capacité de pêche française pour ce poisson.
Avec cette annonce, « ce sont les bijoux de famille de la France qui partent », déplore Olivier Le Nézet, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) de Bretagne, qui espère que les bateaux resteront immatriculés en Bretagne, avec à leur bord des marins français.
« Malheureusement, on a déjà vu des armements rachetés par ce genre de groupes, au sein desquels au fil des années il ne reste plus beaucoup de marins français », rappelle-t-il.
Le cas de l’armement lorientais Jégo-Quéré reste dans les mémoires: après l’avoir repris en 1994, l’espagnol Pescanova s’en était désengagé en 2003, avec à la clef un plan social pour 75 marins.
Dans le cas de la CFTO, le néerlandais P&P a promis de maintenir le « caractère breton de la flotte » et de garder « inchangé » le personnel.
Mais les syndicats s’inquiètent « de la possibilité d’immatriculer ces navires au Registre international français (RIF), ce qui serait grave pour l’avenir de l’emploi des navigants mais aussi des sédentaires », explique Yves L’Helgoualc’h, de la CGT de Concarneau.
Les marins embarqués sous ce registre – dont seulement entre 25 et 35% doivent être issus de l’Union européenne – ne sont pas soumis au droit social français, contrairement à ceux des navires immatriculés au Premier registre.
– Les banquiers pas alléchés –
L’arrivée de capitaux étrangers en France n’est pas nouvelle: Espagnols et Hollandais sont présents dans la pêche depuis dix à vingt ans, mais davantage sur de petits bateaux. « Cela a pris plus d’ampleur récemment », reconnaît Marc Ghiglia, directeur général de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF).
P&P a déjà racheté en 2011 Euronor, fort de 7 chalutiers et bateaux-surgélateurs pêchant en Europe du Nord, et possède indirectement 20% du capital de la Compagnie des pêches de Saint-Malo. Un autre groupe néerlandais a racheté les deux chalutiers de France Pélagique, tandis que les quatre navires de Saupiquet sont sous contrôle italien.
Parmi les gros armements, seuls la Scapêche (Intermarché) et la Sapmer, spécialisée dans le thon, sont encore exclusivement sous capitaux français.
« Malheureusement, il n’y a pas aujourd’hui d’entreprise ou d’investisseurs en France qui aient les moyens de racheter ce genre d’armement » lorsqu’une transmission est nécessaire, constate Olivier Le Nézet.
Les entreprises françaises de pêche gagnent moins d’argent que leurs voisines, explique Marc Ghiglia, soulignant le poids des réglementations sociales.
Et les banquiers ne sont pas très alléchés par ce secteur « où le retour n’est pas garanti: on exploite une ressource naturelle avec des aléas », analyse Jérôme Lafon, délégué filière pêche de l’établissement public FranceAgriMer.
En parallèle, l’appétit des armateurs étrangers a été aiguisé par les restrictions draconiennes imposées par l’Union européenne sur la construction de bateaux neufs. « Le seul moyen de s’accroître est de racheter ses concurrents ou d’autres entreprises », constate M. Ghiglia.
Pour autant, dans un cas comme celui de la CFTO, « il n’y a pas lieu de crier au loup. Ce sont des investisseurs qui viennent du secteur, pas des spéculateurs, ils ne viennent pas pour dépecer l’entreprise (…) Ils viennent parce qu’ils pensent que ces entreprises sont rentables », assure M. Lafon.
En terme de pêche proprement dite, les rachats ne changent généralement pas grand-chose, assure M. Ghiglia: « les bateaux continuent à faire exactement la même chose. Ils pêchent pareil et débarquent pareil ».
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