Les agriculteurs du nord-est du Nigeria veulent rentrer chez eux

L’agriculture et la pêche de subsistance ont toujours été les piliers économiques de cette région reculée des contours du lac Tchad, mais huit années de violences et de déplacements massifs de population ont détruit toutes ses ressources.

Aujourd’hui, des millions de personnes souffrent de la faim et certaines zones de l’Etat du Borno, toujours non-accessibles aux humanitaires, pourraient être en situation de famine.

Sur les 2,6 millions de personnes déplacées, plusieurs centaines de milliers vivent toujours dans des camps, où ils dépendent presque exclusivement de l’aide humanitaire pour survivre, lorsqu’ils n’ont pas de famille sur place pour les héberger.

Toutefois, les organisations humanitaires ont annoncé dernièrement que les réductions des budgets avaient entraîné la révision, voire parfois l’annulation, des programmes alimentaires, malgré les taux très élevés de malnutrition, notamment chez les enfants.

Et pour le directeur du syndicat des pêcheurs, Labbo Tahrir, « aucune quantité de nourriture – distribuée par les ONG – ne sera suffisante pour tous (nous) nourrir ».

« Le seul moyen d’en finir avec cette famine, c’est que nous puissions rentrer chez nous, cultiver et reconstruire nos vies » confie-t-il à l’AFP.

Ibrahim Mammadu, ancien agriculteur qui avait des rizières dans les terres fertiles en bordure du lac, travaille désormais dans une grande exploitation agricole de tomates, pour 13 dollars par mois (11,6 euros): une somme insuffisante pour nourrir sa famille.

« Si je pouvais retourner dans ma ferme, en un an, tous mes problèmes seraient finis », dit le jeune père de famille de 35 ans. « Je ne veux plus être pauvre ni dépendant. L’agriculture, c’est tout ce que je sais faire. »

Sur les bords du Lac Tchad, la terre est si fertile qu’elle pouvait produire un quart du blé nigérian, soit environ 90.000 tonnes par an, jusqu’en 2014 (chiffres officiels). On pêchait aussi 300.000 tonnes de poissons dans le lac. Mais pêche et agriculture ont décliné, notamment car l’armée nigériane soupçonne agriculteurs et pêcheurs de vendre leur production aux insurgés de Boko Haram ou bien que ces ressources ne soient utilisées pour financer le groupe jihadiste.

Kamai Nkike, coordinateur pour l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), estime que l’activité n’a pas repris depuis environ trois saisons des pluies consécutives. La prochaine, qui commence tout juste, ne donnera rien non plus.

« Cela est devenu quasiment impossible désormais de retourner aux champs dans le nord du Borno », explique-t-il.

– ‘Moitiés de ration’ –

Selon les Nations unies, près de 2 millions de personnes sont dans une situation de famine imminente, et 5,2 millions auront besoin d’assistance d’ici le mois d’août. En début d’année, l’organisation internationale avait demandé aux donateurs un milliard de dollars, mais elle n’a reçu pour l’instant qu’un quart de cette somme.

Elizabeth Bryant, du Programme alimentaire mondial (PAM) en Afrique de l’ouest, regrette que ce manque de financement survienne « pendant la saison des pluies, le pire moment ».

La situation est également aggravée par le retour en masse de 12.000 Nigérians, réfugiés au Cameroun.

Le PAM, qui avait prévu de porter une assistance alimentaire à 1,8 million de personnes, a revu son programme à la baisse, avec seulement 1,3 million.

« On vise désormais les groupes les plus vulnérables: les moins de 2 ans, plutôt que les moins de 5 ans », explique Mme Bryant. « Et on distribue des moitiés de ration ».

Le retour des déplacés chez eux dépendra surtout du niveau de sécurité dans la région. Le gouvernement nigérian et l’armée assurent que le calme est revenu mais le manque d’accès à de nombreux territoires, ainsi que les attaques contre les villages, viennent régulièrement démentir leurs annonces triomphalistes.

Le 20 mai, les jihadistes ont abattu six agriculteurs qui travaillaient dans leurs champs, à proximité de Maiduguri, la capitale du Borno. Mais la plupart des attaques restent, dans leur grande majorité, inconnues: le manque de communication et d’accessibilité rend leur recensement exhaustif impossible.

Et pour M. Nkike, les efforts pour relancer l’agriculture devraient aujourd’hui se concentrer dans le sud du Borno, plus calme, « en attendant que la paix revienne dans la région du lac Tchad ».

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