Cet homme de 32 ans, membre de la communauté musulmane Cham, vit sur son bateau dans la province de Kandal, dans le sud du Cambodge. Ses prises diminuent d’année en année.
« Nous ne savons pas pourquoi il y a moins de poissons aujourd’hui », raconte à l’AFP celui qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.
Le constat est largement partagé tout le long de l’immense fleuve qui prend sa source sur le plateau tibétain, traverse la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam avant de se jeter dans la mer de Chine méridionale.
Avec plus de 4.800 kilomètres de long, le Mékong abrite la biodiversité aquatique la plus importante du monde après l’Amazone, avec notamment 1.300 espèces de poissons.
Et il est vital pour la survie des 60 millions de personnes vivant directement du fleuve en Asie du Sud-Est.
Pourtant, c’est plus au nord que tout se joue: les dirigeants chinois détiennent entre leurs mains l’avenir du fleuve. Le Premier ministre Li Keqiang se rend d’ailleurs mercredi à Phnom Penh, la capitale cambodgienne, pour un sommet régional qui y sera consacré.
Pékin a déjà construit six barrages sur le cours supérieur du Mékong et investi dans plus de la moitié des 11 barrages prévus plus au sud, d’après l’ONG de défense de l’environnement International Rivers.
Les groupes environnementaux estiment que les barrages représentent une grave menace pour l’habitat des poissons et perturbent les migrations et l’écoulement des principaux nutriments et sédiments – sans parler du déplacement de dizaines de milliers de personnes victimes d’inondations.
Si les habitants des pays les plus au sud dénoncent une baisse des stocks de poissons à cause des barrages, les experts estiment qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions complètes étant donné le manque de données de base et la nature complexe de l’écosystème du fleuve.
– Intérêt de la Chine –
En contrôlant le débit en amont, la Chine possède un moyen de pression incroyable. Ainsi en 2016, Pékin a permis au Vietnam d’atténuer les effets d’une grave sécheresse en ouvrant les vannes.
Et les pays d’Asie du Sud-Est ne peuvent pas tenir tête à la Chine sur le plan géopolitique, rappelle Thitinan Pongsudhirak, expert en politique étrangère à l’Université Chulalongkron de Bangkok.
La superpuissance régionale a assis son autorité sur le dossier grâce au forum régional naissant, appelé coopération Lancang-Mékong (LMC). La Chine a offert, pour contenter ses voisins, des investissements le long du Mékong et des prêts à taux réduit.
Cela permet à Pékin de continuer à « saper l’habitat et les moyens de subsistance de millions de personnes en aval », ajoute-t-il.
Les dirigeants des six pays du Mékong participeront au forum LMC cette semaine au Cambodge.
« Nous sommes inquiets que la Chine cherche surtout à mettre en avant ses propres intérêts plutôt que d’instaurer une véritable coopération », explique Maureen Harris, responsable d’International Rivers en Asie du Sud-Est.
Jusqu’ici, les entreprises chinoises ont investi des milliards de dollars dans de nombreux barrages mais n’ont réalisé aucune évaluation environnementale et sociétale complète.
Les appels à la protection du fleuve sont jusqu’ici restés lettre morte en Asie du Sud-Est, où les gouvernements sont impatients de répondre aux besoins énergétiques et ne veulent pas résister à la Chine ou renoncer à de gros contrats.
« Une grande partie des bénéfices seront récoltés par les intérêts financiers et commerciaux impliqués et ce sont les communautés le long du fleuve qui seront affectées », ajoute Maureen Harris.
Ceux qui dépendent directement du Mékong, comme Sles Hiet, n’ont pas droit au chapitre.
« Même s’il y a moins de poissons, nous continuerons car nous n’avons pas d’autres emplois et pas de terres à cultiver », rappelle-t-il. « Nous dépendons uniquement du fleuve Mékong ».