Le bateau, propulsé par un vieux moteur de jeep, s’arrête quand l’eau n’est plus profonde que d’environ un mètre. Deux pêcheurs en sautent alors pour rejoindre ce bout de terre plat, stérile, aux plages couvertes de déchets, dont les seuls habitants aboient à leur arrivée.
Des dizaines d’îles, à l’instar de celle-ci, nommée Dingy ou Buddo, sont uniquement peuplées de chiens, à quelques milles nautiques au sud de Karachi.
Les estimations les plus modérées estiment que 35.000 chiens errants vivent dans la mégalopole portuaire pakistanaise, dont la population est estimée à quelque 15 millions d’habitants.
Mais leur situation n’est guère enviable, de nombreux Karachites considérant les chiens comme « dégoûtants » et les droits des animaux étant loin de constituer une priorité au Pakistan. Chaque année, les autorités de Karachi mènent de vastes campagnes d’empoisonnement de centaines de chiens errants en vertu de lois datant du XIXe siècle.
Les îles, bien qu’il ne s’y trouve rien à manger ni à boire, si ce n’est de l’eau saumâtre, constituent en ce sens un sanctuaire, où des centaines de chiens échappent au massacre. Leur survie dépend toutefois essentiellement de l’empathie des pêcheurs.
« Nous les voyons se dresser sur les côtes, espérant que nous leur apporterons de la nourriture. Nous entendons leur appel silencieux », explique Abdul Aziz, un pêcheur de 30 ans, qui distribue aux quadrupèdes quelques galettes et de l’eau prélevées sur les rations de l’équipage.
Personne ne sait qui a transporté les chiens sur l’île. Mais les pêcheurs pensent qu’ils ont été amenés par des villageois pensant ainsi les protéger de la cruauté des hommes.
Parfois, ils se nourrissent de poissons morts arrivant par la mer, ou de petits animaux courant entre les pierres. Parfois, de désespoir, ils se battent à mort, selon les pêcheurs.
Lorsque Abdul Aziz arrive, les chiens courent autour de lui et de son collègue Mohammad Dada, dressés sur leurs pattes arrières, en quête d’une offrande. Les chiots sont dépassés par les adultes. Mais les pêcheurs s’assurent que même les plus faibles sont nourris.
« Un être humain n’est rien sans humanité », philosophe Abdul Aziz, en regardant les chiens efflanqués courir entre des déchets, dont de nombreux sac plastiques, ainsi qu’une seringue.
Et d’ajouter: « Quand nous sentons la morsure de la faim et de la soif, ils doivent aussi la ressentir. »