Pour le gouvernement angolais, l’arrivée du dernier-né de l’armada du groupe pétrolier français Total a pris des allures de bouée de sauvetage.
Précipité dans la crise par la dégringolade des cours il y a quatre ans, le deuxième producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne veut croire que son entrée en activité amorce enfin la reprise du secteur qui a fait sa fortune pendant une décennie.
Vu de l’hélicoptère qui vous dépose en douceur sur le pont arrière, le « Kaombo Norte » a fière allure.
Sur plus de 300 m de long, le pont de cet ancien tanker reconverti en usine flottante est recouvert d’un dédale de tubulures et de cuves où sont traités les hydrocarbures.
Ses entrailles peuvent contenir 2 millions de barils. Mais c’est au-dessus de son étrave que bat le coeur du navire. Un donjon d’acier de 86 m de haut et d’un poids de 10.000 tonnes d’où plonge jusqu’à 2.000 m de fond le tuyau qui remonte le brut.
« Ce touret est fixé au fond et posé sur un roulement très précis qui permet au bateau de tourner de 360 degrés sur lui-même selon les vents et les courants », explique fièrement le chef du projet chez Total, Cyril de Coatpont. « C’est de l’horlogerie à l’échelle industrielle, une des prouesses techniques de ce bateau ».
La partie sous-marine de l’installation est tout aussi ambitieuse.
Plus de 300 km d’oléoducs – record mondial – ont été posés au fond de l’eau pour relier les six nappes du nouveau champ éparpillées sur 800 km2, l’équivalent de la surface de Paris et de sa proche banlieue.
– « Dynamique positive » –
« Kaombo Norte » sera rejoint à la mi-2019 par son double, « Kaombo Sul ». Tous les deux devraient extraire 230.000 barils par jour, 15% de la production actuelle du pays.
La facture du projet, le plus important jamais lancé offshore en Angola, est salée: 16 milliards de dollars.
Mais le premier opérateur pétrolier du pays (40% de la production avec 600.000 barils par jour) en a fait un des axes du maintien de son niveau d’activité en Angola, une de ses têtes de pont historiques en Afrique.
« Nous allons maintenir notre production pour les prochaines années », promet le PDG de Total Patrick Pouyanné. « Il y a une dynamique très positive, les prix du pétrole sont plus élevés et la volonté du gouvernement de favoriser l’industrie pétrolière est bienvenue ».
Pour le président angolais Joao Lourenço, il y a urgence.
Depuis qu’il a succédé à Jose Eduardo dos Santos il y a un an, il promet à qui veut l’entendre un « miracle économique ».
Dans les années 2000, l’or noir a assuré au pays une croissance à deux chiffres. Mais en 2014, la chute des cours, dont la vente représente 90% de ses exportations et 70% de ses recettes, l’a précipité dans la récession.
Faute d’avoir su diversifier son économie, l’Angola ne peut se relever que grâce à son pétrole.
« La production a baissé considérablement ces dernières années, nos zones de production ont atteint leur maturation », concède le patron de la compagnie nationale Sonangol, Carlos Saturnino. « Pour inverser la tendance, il faut découvrir de nouvelles réserves ».
– « Talon d’Achille » –
Le gouvernement a adopté une série de mesures fiscales destinées à inciter les « majors » à relancer l’exploration, à pomper les dernières gouttes des champs dits subsidiaires et à mieux utiliser le gaz produit par l’extraction pétrolière.
Le boom de l’or noir est fini mais l’Angola veut stabiliser le plus longtemps possible la production à son niveau actuel de 1,5 million de barils par jour.
« Nous sommes prêts à lancer des appels d’offres pour de nouveaux blocs d’exploration dès l’an prochain », répète son ministre du Pétrole, Diamantino Azevedo.
Le groupe Total a promis d’y prendre sa part en annonçant ou confirmant de nouveaux forages.
Sur tout le continent, la récente remontée des cours du brut – ils ont atteint leur plus haut niveau en quatre ans le mois dernier avant de retomber – a donné un coup de fouet aux projets d’exploration. Mais leur rentabilité reste à confirmer, mettent en garde les analystes.
« Convertir les volumes en profits constitue sans doute le talon d’Achille de l’Afrique subsaharienne », résume Adam Pollard, du cabinet Wood Mackenzie’s.
C’est vrai pour les « majors » comme pour les Etats.
« La remontée des prix du brut est une bonne chose pour l’Angola », note le patron du magazine économique angolais Expansao, Carlos Rosado de Carvalho. « Mais on estime que 60 à 70% des revenus sont déjà réservés au remboursement de sa dette. Ses effets seront limités ».
En attendant la découverte éventuelle de nouveaux champs, le « Kaombo Norte » a commencé à pomper les 660 millions de barils espérés du « bloc 32 ». Un travail de vingt ans. L’aventure pétrolière de l’Angola, prédisent les experts, sera alors proche de sa fin.