Sécheresse, températures en hausse: les huîtres malmenées par le réchauffement climatique

« Il y a vingt ans, quand on préparait les commandes pour les fêtes, on grelotait dans l’atelier. Aujourd’hui, il fait quinze degrés », constate M. Le Moal, manches retroussées devant son tracteur chargé de dizaines de sacs de mollusques.

Empoignant la maille humide et iodée, il se hâte vers un hangar de bois où une dizaine d’employés s’activent à trier, peser et emballer les huîtres. « Elles ont besoin de l’hiver, c’est le moment où elles se reposent, dépensent moins d’énergie », explique-t-il.

Ici, dans les chantiers ostréicoles regroupés sur les hauteurs de la baie de Cancale (Ille-et-Vilaine) et de ses eaux émeraude, les exploitants regrettent tous la « longue sécheresse de l’été ».

« Il n’a pas plu, ni ici, ni en Normandie », soupire Bertrand Racinne, 59 ans, slalomant entre flaques salées, caisses et bourriches. Sans pluie pour transporter les sels minéraux jusqu’à la mer, « il n’y a pas de plancton, l’aliment de base des huîtres, et elles ne poussent pas ! ».

« Résultat: on a des huîtres, mais on manque de gros calibres ! Le printemps risque d’être tendu pour certains », résume l’exploitant, qui écoule toujours plus de 50% de sa production annuelle en décembre.

Selon le comité national de la conchyliculture (CNC), les 4.500 entreprises ostréicoles françaises ont commercialisé 100.000 tonnes d’huîtres en 2017, à environ 5.000 euros la tonne. L’huître creuse japonaise (quasi-totalité du marché), consommée après trois ans d’élevage, se classe en cinq catégories ou « calibres ».

« 10 grammes de moins par bête, ça ressurgit sur le chiffre d’affaires. Les ostréiculteurs auront 20% à 30% de volumes en moins cette année », se désole le président du CNC Philippe Le Gal. Pour lui, « le réchauffement climatique commence à se faire sentir ».

– Migration des pathogènes –

Filtrant 10 litres d’eau par heure et incapable de contrôler sa température interne, « l’huître est extrêmement sensible à son environnement ». Celui-ci joue notamment sur son développement et sa reproduction, indique Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) de Brest.

L’élévation des températures risque dans l’avenir de « favoriser » les maladies de l’huître, alerte le scientifique.

Depuis 2008, la filière enregistre déjà d’importants taux de mortalité chez les naissains et jeunes huîtres. Jusqu’à 75% ont été perdues certaines années. Les études pointent généralement le virus herpès OsHV-1 (inoffensif pour l’homme), présent depuis 1991 mais devenu plus agressif sans raison identifiée.

Ce pathogène est justement très meurtrier « dans une eau comprise entre 16 et 24 degrés », soit « quatre à six mois par an » dans l’ouest de la France, observe M. Pernet.

« Les ostréiculteurs avaient trouvé une parade: mettre dix fois plus de naissains à l’eau, à l’automne, en dehors de la fenêtre d’action du virus ». Mais le réchauffement des eaux risque de réduire ce temps de répit hivernal.

« Et de nouveaux pathogènes pourraient aussi apparaître », emportés par les espèces originaires du sud qui migrent vers le nord.

Enfin, l’acidification des océans, qui contraint les huîtres à « dépenser plus d’énergie » pour fabriquer leurs coquilles, contribue à les affaiblir, tout comme l’érosion de la biodiversité, qui « rend les écosystèmes moins résilients », estime le chercheur.

– Hivers doux et pluvieux –

Les huîtres adultes ne sont pas épargnées: touchées par un autre virus, elles ont été tuées massivement à plusieurs reprises depuis les années 90, particulièrement en 2013.

« Nous avons observé que les épisodes de mortalité extrêmes (plus de 25% des huîtres) surviennent quelques mois après un hiver doux et pluvieux », note Yoann Thomas, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et co-auteur d’une étude publiée en octobre.

Sans le froid, « qui permet un repos biologique », et avec de fortes pluies « qui modifient la salinité de l’eau » et « sa teneur en phytoplancton », l’activité du mollusque est modifiée et il commence l’année « fragilisé et vulnérable », explique-t-il.

Selon les projections du Giec (experts climat de l’ONU), ces conditions climatiques vont devenir fréquentes, et « les surmortalités qui interviennent actuellement tous les dix ans, risquent de survenir une année sur deux d’ici 2035 » puis « tous les ans à l’horizon 2100 » si rien n’est fait pour limiter le réchauffement climatique, estime le chercheur.

Certains ostréiculteurs restent dubitatifs, accusant aussi la pollution, la concentration des huîtres dans les parcs ou l’arrivée sur le marché d’huitres modifiées en laboratoire.

« La mortalité change d’une année sur l’autre, d’une région à l’autre… Personne n’arrive à nous expliquer ! Mais on ne désespère pas, on trouve nos propres solutions », réagit Alexandre Prod’homme, ostréiculteur à Cancale.

« L’huître ne va pas disparaître. Elle se reproduit vite et colonise déjà l’Europe du nord », rassure Fabrice Pernet. « Mais elle va probablement migrer » et les ostréiculteurs devront s’adapter: modifier les calendriers, déplacer des concessions, élever au large…

« Sur l’impact du réchauffement, on n’est sûrs de rien, on attend plus d’études scientifiques », juge Daniel Coirier, président du comité régional conchylicole Poitou-Charentes. « Mais même moins grosses, nos huîtres restent belles, et de qualité ! »

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