Sous un soleil radieux, le chef de 31 ans ouvre les portes de l’univers élaboré par ses parents, et qu’il a fait sien: le « Château Richeux », près de Cancale, fière villa des années 1920, où Léon Blum avait ses entrées, à la vue imprenable sur l’immense baie du Mont-Saint-Michel.
Potager celtique où poussent, entre des pierres levées, 70 variétés de plantes aromatiques, conservatoire de pommiers aux 26 variétés endémiques, four à pain, ruches, cave à algues, le tout face à une mer bleu azur où viennent d’être semées les pommes de terre nouvelles: les sept hectares de terres du domaine constituent un véritable garde-manger.
« C’est une chance incroyable de vivre ici, face à ce paysage changeant, lunaire, et cette respiration céleste des marées », reconnaît ce passionné de sports nautiques, qui revendique une cuisine « liquide, marine, un peu mystique » et entend « chercher le goût du fond de la mer ». Une cuisine qui, selon lui, n’a de cohérence « qu’ici, et nulle part ailleurs ».
Avant d’annoncer à son père, en 2012, sur un quai de gare, son intention de cuisiner, Hugo a embrassé les embruns des quatre coins de la planète en tant qu’officier de marine marchande. « Je voulais connaître la couleur de l’eau dans le monde entier, les ambiances de port, l’excitation de retrouver la terre après un mois en mer », confie le papa d’un petit « Ulysse ».
Et puis un jour, il a le déclic: lui aussi a le virus de la cuisine, comme ce monument de la gastronomie internationale qu’est son père.
« Je suis revenu attiré comme un aimant, par amour pour ce pays de Cancale, Saint-Malo, par désir de protéger à mon échelle ces pêcheurs, maraîchers, ostréiculteurs, en les racontant dans une cuisine », proclame-t-il.
– « Militant de la mer » –
« Pour moi, le bon doit être bien sûr gustativement bon, mais aussi bon pour la planète et pour la santé », plaide ce « militant de la mer » qui dit cuisiner « avec liberté et conviction ».
Alors quand son « équipage », comme il aime appeler sa brigade du « Coquillage », réfutant le lexique militaire en cuisine, décroche une deuxième étoile Michelin en janvier, Hugo Roellinger y voit une « reconnaissance énorme » pour les équipes mais aussi pour lui, ce « fils de ».
« On a beau penser ce qu’on veut du Michelin, ça a été une heureuse surprise », souligne-t-il, tout en précisant que cette honorable distinction n’allait « rien changer » à sa façon de cuisiner. « Le but est de continuer à cuisiner avec liberté, il ne s’agit pas du tout de +tuer+ le père pour exister. Nous avons le même cadre créatif: les richesses de l’+armor+ et de l’+argoat+, de la mer et de l’arrière pays breton, l’horizon et les épices rapportés d’ailleurs, mais pas la même expression », souligne celui qui revendique une assiette « plus maritime, végétale et iodée » que son père.
Olivier Roellinger, qui avait rendu en 2008 ses trois étoiles pour raisons de santé, voit dans celles d’Hugo la récompense d’une « identité culinaire singulière », alors que la famille n’a jamais rien fait, selon lui, pour « caresser Michelin dans le sens du poil ».
Décrivant un « garçon ayant du sang-froid, des convictions et une forme de radicalité dans ce qu’il entreprend », le chef raconte comment Hugo a banni le jus d’orange hors saison des agrumes, lui préférant le jus de pomme du verger familial, ou comment il a refusé de « gaspiller 15 poules par semaine pour faire du bouillon », optant pour un bouillon d’algues et de légumes.
« C’est tout simple mais c’est tellement vrai. J’avais ouvert des voies, lui les met en pratique », souligne le chef, qui prend régulièrement position en faveur de l’environnement et du « bien manger ».
Si Olivier, loin des fourneaux, continue de conseiller un fils qui s’avoue « rempli de doutes », c’est toujours avec bienveillance et distance. « Un beau duo » confirme l’entourage familial. « J’ai tellement fait d’erreurs qu’il a bien le droit d’en faire lui aussi », plaisante le chef triplement étoilé.