Depuis quelques années, le navire de Tamme Bolt, un quinquagénaire débonnaire à la tête d’un équipage de dix personnes, pêche de plus en plus dans les eaux britanniques, suivant les migrations des poissons en mer du Nord. S’il n’y a plus accès, « nous perdrons un tiers de nos revenus » et il lui faudra peut-être licencier, maugrée-t-il.
Comme lui, parmi les 300 membres de l’association de pêche locale, la plus grande du pays, beaucoup réalisent aujourd’hui entre 10 et 70% de leurs prises (morue, hareng, lançon…) dans les riches eaux britanniques de la mer du Nord. Le « Tina Jeannette », rutilant chalutier de 247 tonnes, y réalise même l’ensemble de ses prises.
Dans les difficiles négociations en cours, le maintien de leur accès aux Européens représente un enjeu des plus épineux. Les Britanniques veulent en reprendre le contrôle exclusif, suscitant une vive inquiétude chez les pêcheurs « continentaux » de l’Atlantique à la mer du Nord en passant par la Manche.
« Toute la chaîne est en fait menacée par les conséquences négatives d’un Brexit dur », résume le directeur du port de Thyborøn, Jesper Holt Jensen. Toute la communauté serait affectée – dans le district de Lemvig auquel appartient le port, 5% des emplois dépendent de la pêche.
En l’absence d’accord, des pertes considérables menacent: jusqu’à 10 millions de couronnes pour les locaux, un milliard (134 millions d’euros) au niveau national, estime Alfred Fisker Hansen, le président de l’association.
– Le temps commence à manquer –
La date fatidique du 1er janvier à laquelle les accords cesseront de s’appliquer s’approche. Mais pour l’instant impossible de prévoir quoi que ce soit, exactement le scénario qu’il aurait préféré éviter.
A Thyborøn, une large part de la pêche dans les eaux britanniques est transformée pour faire de la nourriture pour poissons d’élevage, comme chez « 999 », une grande entreprise de farine et d’huile de poisson.
Pour Jes Bjerregaard, son directeur général, « un bon Brexit, ça serait un Brexit où on continue comme aujourd’hui ». En attendant, « nous attendons les conclusions (des négociations) et ensuite on prendra les actions nécessaires pour minimiser une perte potentielle », explique-t-il.
Et le temps presse, insiste le chef d’entreprise.
Une préoccupation partagée chez Nordsøtrawl, qui fabrique des filets de pêche pour les chalutiers.
Dans un grand bâtiment sur le quai, face aux bateaux amarrés avant de repartir battre les vagues, les employés s’affairent sur un énorme ouvrage pour un navire norvégien.
Tissant des cordes aux couleurs chatoyantes, ils échangent dans une ambiance guillerette au son de la radio locale. Pourtant, ici non plus on ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait.
« Ca va avoir un gros impact sur la flotte mais aussi sur nous », confie le patron, Flemming Ruby, fils de pêcheur qui, sujet au mal de mer, a toujours préféré rester à terre.
– Embouteillages sur les mers –
Sans accès aux eaux britanniques, « bien sûr on peut aller autre part mais c’est la même chose pour les autres bateaux », souligne Tamme Bolt. « Les pêcheurs norvégiens, danois, allemands et néerlandais risquent de se retrouver sur des petites zones et ça, ce n’est jamais bien », déplore-t-il.
Et qu’adviendrait-il des très pro-Brexit pêcheurs britanniques? Pour Alfred Fisker Hansen, ils seront submergés et incapables d’exploiter leurs richesses halieutiques.
« Je ne pense pas qu’ils ont la flotte pour les attraper, ils n’ont certainement pas l’industrie pour les transformer et espérons qu’ils n’auront pas non plus le marché pour le vendre », ironise-t-il.
Priorité doit avant tout être donnée à un accord durable.
« Il faut un accord à long terme qu’on ne doive pas renégocier chaque année, parce que ça serait très fatigant pour tout le monde », plaide le représentant des pêcheurs.
Avec la Norvège voisine, non membre de l’UE, le Royaume-Uni a trouvé fin septembre un accord partiel, à base de quotas et d’un accès mutuel aux zones de pêche. Mais ces points doivent faire l’objet de discussions annuelles.