Suicide d’un commandant: la compagnie CMA CGM condamnée à 100.000 euros d’amende

Philippe Deruy, 47 ans, unanimement reconnu comme un professionnel hors pair, s’était pendu dans la cave de son appartement niçois le 14 février 2011.

Le tribunal a jugé qu’il existe un lien évident entre ce suicide et « la gestion chaotique des suites d’une collision » en mer du Nord qui, un peu moins de deux mois auparavant, le 23 décembre 2010, avait impliqué Le Lapérouse, porte-conteneurs de la CMA CGM que commandait M. Deruy.

Un jeune lieutenant, aux commandes lors de l’accident avait été reconnu responsable de cette collision et avait quitté la compagnie, l’un des géants mondiaux du transport maritime. Le commandant Deruy avait été dégagé de toute responsabilité.

Mais son sort avait alors donné lieu à une intense lutte d’influence au sein de l’état-major de la compagnie. A l’inverse d’une majorité de cadres dirigeants, Jacques Saadé, PDG de CMA CGM, et le directeur général de la filiale CMA Ships étaient eux favorables à un licenciement de Philippe Deruy.

Renvoyé sur Le Lapérouse pour former un nouveau commandant qui le remplaçait, puis débarqué à Suez (Egypte) et muté à un poste à terre mal défini, le commandant avait connu une dégradation de son état moral.

Le tribunal considère que ces atermoiements, ces « jugements catégoriques » de Jacques Saadé, l’incertitude dans laquelle était laissé le commandant auquel étaient promis des entretiens finalement annulés sont autant de « manquements à l’obligation [de la compagnie] d’assurer la sécurité et la protection de la santé physique et mentale de Philippe Deruy ».

« Cette négligence, poursuivent les juges, dans la conduite des suites de l’accident du 23 décembre 2010 a consisté à adopter des mesures assimilables à des sanctions disciplinaires sans suivre la procédure ».

En agissant hors de tout cadre juridique, sans fixer aucun calendrier et en privant son commandant des droits liés à une procédure disciplinaire, la CMA CGM « a entraîné d’évidents désordres mentaux chez Philippe Deruy » dont le tribunal relève « le passé absolument sans faille ».

« De deux choses l’une, martèle le tribunal: soit Philippe Deruy a commis une faute et il doit être sanctionné; soit il n’en a pas commis et il n’y a pas de raison de modifier la nature de ses fonctions ».

Le tribunal a ordonné la publication de son jugement dans la revue « Jeune Marine » pour « assurer la publicité de cette décision dans le milieu nautique ».

Géant du transport maritime mondial et de la logistique avec quelque 500 navires, la CMA CGM dont le siège est à Marseille, a aussitôt fait savoir qu’elle fera appel de sa condamnation, « de nombreux éléments démontrant que sa responsabilité ne saurait être engagée ».

Elle a souligné dans un message le caractère « douloureux » de cette affaire. Avant le procès, l’armateur avait indemnisé les parties civiles, les proches de Philippe Deruy. Au cours de l’instruction, elle lui avait rendu hommage en apposant une plaque sur le pont d’un navire qu’il avait sauvé à Tanger (Maroc) de graves dommages après la rupture d’une amarre.

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