L’Ever Given, un navire de 200.000 tonnes et de 400 mètres de longueur, a stoppé à lui seul une voie navigable où circule chaque année environ 10% du commerce international en s’immobilisant en diagonale le 23 mars.
Mais les craintes que ce blocage perdure pendant des semaines se sont révélées infondées.
Au septième jour de la crise lundi, le navire battant pavillon panaméen, opéré par le taïwanais Evergreen Marine Corporation, a été remorqué vers le Grand Lac Amer au milieu du canal de Suez et la circulation a repris le soir même entre la Méditerranée et la mer Rouge.
Le président Abdel Fattah al-Sissi n’a pas attendu que le navire gigantesque soit entièrement dégagé pour revendiquer un « succès » égyptien.
Sous ses ordres, plus de huit milliards de dollars (6,8 milliards d’euros) ont été menés sur le canal en 2014-2015 dont la création d’une voie parallèle de 35 km sur la partie nord.
– Géré « exceptionnellement » –
« Le gouvernement égyptien a géré le blocage (…) exceptionnellement bien, étant donnée l’intense pression internationale », a relevé Tony Munoz, rédacteur en chef de la revue spécialisée Maritime Executive, soulignant toutefois le rôle des spécialistes étrangers du sauvetage dans les opérations.
Il a notamment évoqué l’expertise apportée par Nick Sloane, de la société spécialisée Resolve Marine, qui a travaillé sur le sauvetage du bateau de croisières Costa Concordia naufragé en 2012 sur une île de Toscane.
Pour Angus Blair, professeur d’économie à l’université américaine du Caire, l’Egypte devait se féliciter d’avoir réussi le sauvetage « mais ça ne rabaisse pas l’implication néerlandaise », à travers la société Smit Salvage qui a participé aux opérations.
MM. Blair et Munoz ont estimé que l’impact à moyen terme sur la part de l’Egypte dans le commerce maritime serait limité ou inexistant.
« En réalité, ce n’était qu’un accident de la circulation, même si c’en était un gros », a relevé M. Blair.
« Les aéroports connaissent des accidents mais, en quelques heures, ils rouvrent », a-t-il ajouté. « Donc, je ne pense pas qu’il y ait de dommages pour la réputation de l’Egypte ».
Selon M. Munoz, la solution de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance –qui rajoute 6.000 km au trajet Singapour-Rotterdam– « n’est pas raisonnable ». « Tout l’objet de ces méga-navires est de réduire les escales et les coûts opérationnels », a-t-il relevé.
– Responsabilités –
Mais « lorsque les prix du pétrole baissent à un certain niveau, la route longue par le cap de Bonne-Espérance, devient moins onéreuse », a souligné Yezid Sayigh, du Carnegie Middle East Center.
Selon cet expert de l’influence de l’armée sur l’économie en Egypte, l’agrandissement récent du canal était une erreur.
Dans une étude de 2019, il soulignait que « la demande de Sissi de terminer (l’agrandissement) en un an au lieu des trois ans » prévus avait fait doubler le budget initial.
Selon lui, ces travaux reposaient sur une estimation trop optimiste du trafic maritime après l’inauguration du nouveau tronçon, malgré une rude concurrence avec le canal de Panama et la route du Nord, a-t-il dit à l’AFP.
Le canal de Suez a rapporté à l’Egypte 5,7 milliards de dollars en 2019-2020, soit à peine plus qu’en 2014 (5,3 milliards), selon l’Autorité du canal de Suez, qui tablait sur un revenu de 13,5 milliards d’ici 2023.
Devant ce constat, M. Sissi a rejeté cette semaine l’idée d’élargir la partie sud du canal, où l’Ever Given s’est échoué.
L’embouteillage géant de plus de 400 navires devrait être résorbé d’ici la fin de la semaine mais l’établissement des responsabilités devrait se jouer devant les institutions d’arbitrage et de contentieux, selon l’agence de notation financière DBRS Morningstar.
Concernant l’enquête sur le canal, les autorités égyptiennes « feraient bien de se montrer transparentes, afin d’éviter de ternir leur réputation », a prévenu M. Sayigh, relevant que l’Egypte avait « résisté à la transparence » dans certains incidents par le passé.
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