Dans cette région du Roussillon, les anciens ont été surpris par l’afflux massif de saisonniers, ravivant les souvenirs des années 60 et 70 lorsque la quasi-totalité du vignoble était vendangée par des Espagnols venus faire le plein financier avant de retourner vers la misère de l’Espagne franquiste.
Le décollage économique du pays avait complètement asséché cette main d’oeuvre et ce n’est que depuis quatre ou cinq ans que les saisonniers ibériques sont revenus en masse.
La Fédération d’industrie et des travailleurs agraires (Fitag) en Espagne a estimé à près de 15.000 leur nombre cette année dans le grand sud de la France, dont près de 10.000 venus d’Andalousie, comme en 2012.
Difficile de vérifier ces chiffres sur le terrain, selon Frédéric Brousse, directeur de la Maison des saisonniers à Perpignan, un organisme monté par un groupement d’employeurs. Mais il confirme l’ampleur du phénomène.
Crise du bâtiment
« Ces chiffres ne m’étonnent pas. C’est un phénomène qu’on constate depuis quatre ans. Il y a une véritable crise en Espagne et les premiers touchés ont été les ouvriers du bâtiment, essentiellement sur le sud de l’Espagne ».
Pas moins de 50 personnes par jour ont franchi la porte de son organisme à Perpignan au début de la saison des fruits en avril-mai, souligne-t-il.
« Certains sont tellement désespérés qu’ils nous ont proposé de travailler gratis une semaine pour montrer de quoi ils sont capables. C’est hallucinant de voir ça aujourd’hui », témoigne Alain Margalet, producteur de nectarines et élu d’Ille-sur-Têt.
Dans les environs de cette commune au coeur de la production de pêches du département, Marco Dorado Garcia s’affaire sur son escabeau à remplir à toute vitesse des cageots de nectarines. Ancien ouvrier du bâtiment, il a rejoint depuis cinq ans les rangs de cette armée de saisonniers.
« A cause de la crise, ils ont arrêté de construire. Et s’il n’y a plus de travail là-bas, alors, il te faut émigrer », explique ce jeune homme de 28 ans venu avec son frère et son épouse. Son enfant est resté là-bas en Andalousie, à plus de 1.000 km, sous la garde du grand-père maternel.
« J’ai un enfant, une maison. Il faut payer (le crédit) et acheter de quoi manger », ajoute-t-il, précisant qu’il ne touche plus l’allocation chômage.
Dans son bourg de 6.000 à 7.000 habitants, 80% des gens suivent le même chemin, assure-t-il. « Dans la pêche, le raisin, les pommes… »
Près de Rivesaltes, d’autres Espagnols viennent d’attaquer les vendanges, les premières pour Antonio Gonzales Pelayo, 46 ans. Ouvrier dans le bâtiment, il travaillait il y a encore cinq ans à la construction d’immeubles sur la côte, dans la région de Marbella. Il vient de terminer la saison des abricots, commence celle des vendanges et, lorsqu’il rentrera chez lui à Almargen, près de Ronda (Andalousie), il prévoit de récolter les olives d’un producteur local.
Les locaux s’essoufflent
« La main d’oeuvre locale, au bout de deux mois, elle s’essouffle. Ils font leurs quotas d’heures pour toucher les Assedic et puis ils s’essoufflent et ne veulent plus travailler; pour avoir 15 saisonniers locaux, on se retrouve à faire 40 contrats dans la saison », explique, un peu gêné, Alain Margalet.
Michel Pratx, patron d’une exploitation familiale d’abricots et de vignes, dénonce l’absentéisme de la main-d’oeuvre locale: « Impossible d’organiser convenablement une campagne dans de telles conditions ».
Depuis 20 ans, il emploie et loge la même famille d’Espagnols, des femmes essentiellement, auxquelles sont venus se greffer quelques hommes, des anciens du bâtiment comme Antonio.
L’année prochaine, cette famille fera de nouveau « l’exode économique », selon l’expression d’une des saisonnières. « C’est une existence qui est plus dure que triste » car au moins, « nous sommes en famille », ajoute-t-elle.