A l’issue du Conseil des ministres mercredi, après un dernier round de discussions tous azimuts, la décision est tombée: si aucun progrès n’est fait d’ici début novembre, Paris a décidé de « l’interdiction de débarquement de produits de la mer » britanniques en France et la mise en place de « contrôles douaniers et sanitaires systématiques sur les produits (britanniques) débarqués ».
Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a aussi évoqué une riposte graduelle, avec une possible « deuxième série de mesures », « notamment des mesures énergétiques qui ont trait à la fourniture d’électricité pour les îles anglo-normandes ».
« Les menaces de la France sont décevantes et disproportionnées, et ne correspondent pas à qu’on pourrait attendre d’un allié et partenaire proche », a réagi mardi soir un porte-parole du gouvernement britannique, affirmant qu’elles n’étaient « pas compatibles » avec l’accord post-Brexit et le droit international.
Si ces menaces sont « appliquées, elles feront l’objet d’une réponse appropriée et calibrée », met-t-il en garde.
Dans la soirée, un communiqué conjoint du ministère français de la Mer et du secrétariat aux Affaires européennes a précisé les mesures: « interdiction de débarquement des navires de pêche britanniques dans les ports désignés », c’est-à-dire les six ports français où la débarque s’effectue actuellement, ainsi qu’un « renforcement des contrôles » sanitaires, douaniers et de sécurité des navires britanniques.
Enfin, une mesure va plus loin, annonçant un zèle particulier dans les « contrôles des camions à destination et en provenance du Royaume-Uni », quelle que soit leur cargaison. La France ne « laissera pas la Grande-Bretagne s’essuyer les pieds sur l’accord Brexit », a insisté le porte-parole du gouvernement français.
-« 50% des licences »-
Le feu couvait depuis des semaines: parmi les sujets de friction post-Brexit entre Paris et Londres, celui de la pêche reste explosif, bien que ne concernant qu’un nombre relativement réduit d’acteurs.
L’accord post-Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
Dans les zones de pêche encore disputées (zone des 6-12 milles des côtes britanniques et îles anglo-normandes), Londres et Jersey ont accordé au total un peu plus de 210 licences définitives, alors que Paris en réclame encore 244.
« Il manque quasiment 50% des licences auxquelles nous avons droit », a martelé Gabriel Attal. Côté britannique, le porte-parole du gouvernement de Boris Johnson avance un chiffre bien différent: « 98% des licences de pêche ont été accordées ».
La ministre de la Mer, Annick Girardin, avait prévenu qu’elle voulait une solution globale d’ici au 1er novembre, puisque l’île de Jersey a donné un délai d’un mois (jusqu’au 30 octobre) à 75 bateaux français pour fournir de nouveaux éléments et rouvrir leur dossier. Ces navires-là étant pour l’instant sur liste rouge, ils ne pourront plus frayer dans les eaux de Jersey à compter de lundi.
-« Aucune communication officielle »-
Pour autant, Londres a semblé surpris et s’est dit « très déçu » de ces « menaces proférées tard dans la soirée », selon le secrétaire d’Etat britannique chargé du Brexit, David Frost, qui dénonce la manière dont les choses se sont faites.
« Nous n’avons reçu aucune communication officielle du gouvernement français à ce sujet », a-t-il souligné sur Twitter, disant « chercher à obtenir d’urgence des éclaircissements ».
Côté français, le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune affirme que cette décision s’inscrit « dans une démarche européenne puisque nous avons saisi en même temps la Commission européenne pour avoir une réunion de premier étage de règlement des litiges ».
« Aucun autre sujet de coopération européenne avec le Royaume-Uni ne pourra progresser sans rétablir la confiance et appliquer pleinement les accords signés », précise le communiqué gouvernemental.
La situation reste très tendue aussi dans la région de Boulogne-sur-Mer (Hauts-de-France), où des dizaines de pêcheurs n’ont pu accéder aux eaux britanniques depuis des mois. « Depuis avril, on est à plus de 50% de pertes d’exploitation », explique l’un d’eux, Stéphane Pinto, estimant qu’il y a longtemps que l’Etat et l’UE « auraient dû réagir ».
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