« C’est d’une visibilité dont vous avez besoin. Je vais donc être franche avec vous, il nous faut nous préparer à ces pertes », a déclaré la ministre, s’adressant directement aux professionnels lors d’une intervention aux assises de la pêche organisées à Saint-Pol-de-Léon (Finistère).
« Sans préjuger des suites de la négociation, j’ai demandé à la DPMA (Direction des pêches) de me proposer, en relation avec les professionnels, une estimation des plans de sortie de flotte que je pourrais financer », a-t-elle annoncé.
Elle a précisé qu' »une enveloppe de 40 à 60 millions d’euros » pourrait « être mise sur la table ». Ces fonds, provenant d’une enveloppe européenne destinée à accompagner les conséquences du Brexit, serviront notamment à indemniser les pêcheurs dont les navires ne pourront pas être repris et finiront à la casse.
« Le ministère ne forcera aucun navire à sortir, la démarche est volontaire, au cas par cas », a précisé la ministre.
Ce n’est pas la première fois que ces mesures d’aide sont évoquées mais la ministre est allée plus loin jeudi, préparant clairement les pêcheurs à des décisions difficiles, jusqu’ici rejetées par les comités de pêche qui exigent « le renouvellement de toutes les licences ».
Paris et Londres sont en conflit sur ce dossier depuis de long mois.
En vertu de l’accord de Brexit signé fin 2020 entre Londres et Bruxelles, les pêcheurs européens peuvent continuer à travailler dans les eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
Dans les zones encore disputées, les gouvernements de Londres et des îles anglo-normandes ont accordé à ce jour près de 220 licences définitives. La France, qui a réduit ses exigences, réclame encore quelque 150 licences.
– « non volonté de coopérer » –
Désireux de voir la situation se débloquer, Paris a ciblé « en priorité » quelques dizaines de dossiers: ceux des navires dont la survie économique dépend largement de l’accès aux eaux britanniques.
Jeudi, Mme Girardin a fait état d’avancées, notamment avec l’île anglo-normande de Guernesey, « qui a toujours été un partenaire fiable » et devrait octroyer « une quarantaine de licences définitives d’ici le début du mois de décembre ».
Mais le compte n’y est toujours pas et elle a vigoureusement dénoncé l’attitude de l’île voisine, jugeant « évident que Jersey ne respecte pas l’accord Brexit ». « Pire, il démontre une non-volonté de coopérer avec nous », a-t-elle dit.
Elle a rappelé que 46 demandes d’autorisation étaient encore sans réponse et que 52 licences avaient expiré le 31 octobre, « dont 13 prioritaires, privant ces pêcheurs d’un accès aux eaux de Jersey ».
Environ un quart des prises françaises (hors Méditerranée) en volume (environ 20% en valeur) proviennent des eaux britanniques, très poissonneuses et qui sont à l’origine de 650 millions d’euros de ventes annuelles pour les pêcheurs européens.
Paris estime qu’environ 200 bateaux français sont dépendants de l’accès aux eaux britanniques pour au moins 20% de leur chiffre d’affaires, avec de fortes disparités locales. Ainsi, 60 % des captures des navires des pêche des Hauts-de-France proviennent des eaux britanniques, et deux tiers du poisson transformé chaque année à Boulogne-sur-Mer vient du Royaume-Uni.
Alors que des dizaines de licences provisoires expiraient fin septembre, la France avait durci le ton, annonçant des sanctions, notamment une interdiction de débarque pour les bateaux de pêche anglais et des contrôles douaniers renforcés, si aucun progrès n’était fait. Londres avait aussitôt annoncé des représailles en retour.
La menace s’était finalement éloignée, après une série de rencontres, y compris entre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Boris Johnson en marge de la COP-26 à Glasgow, mais la crise tend à s’enliser.
Les discussions, qui se poursuivaient jeudi à Bruxelles, achoppent notamment sur la question des navires de remplacement, des bateaux neufs acquis récemment par les pêcheurs français pour renouveler leur flotte, a-t-on indiqué dans l’entourage de la ministre.