Non loin de la tombe, la carcasse d’un cochon pourrit dans le sable. La plage a été lessivée, le village anéanti par le vent et des vagues de plusieurs mètres de haut qui ont plongé dans le désespoir les pêcheurs trahis par l’océan.
« Je n’ai jamais eu peur de la mer mais le jour où Yolanda est arrivé, j’ai pleuré », explique Cesar Magdua en désignant Haiyan par son nom local.
Teint de bois sombre, visage taillé au large, l’homme de 54 ans, fervent catholique, a perdu son bateau et la foi dans l’océan d’où son père avant lui puisait comme à une source.
« Nous n’avons pas eu le temps de mettre tous nos bateaux à l’abri, de les sortir de l’eau. Les vagues se sont fracassées à une vitesse folle, en emportant tout », dit-il, prenant à témoin un cocotier décapité par les rouleaux.
« Le dicton est vrai, la mer reprend ce qu’elle donne », soupire-t-il.
Le 8 novembre, Haiyan a dévasté des îles du centre des Philippines avec des vents soufflant à plus de 300 km/h et des vagues de cinq à sept mètres qui ont pénétré loin à l’intérieur des terres. On recense provisoirement quelque 4.000 morts.
A Baybay, le typhon a détruit 1.500 habitations, mais aussi les bateaux et les filets.
Cesar Magdua ignore le nombre de villageois tués. Des cadavres sont ramassés quotidiennement.
« Je n’ai pas revu beaucoup de mes amis », confie simplement ce père de huit enfants qu’il a sauvés en les installant dans la maison d’un ami, à un kilomètre du rivage.
Il était affairé à consolider sa maison à l’aide de cordes et de sacs de sable quand la première vague a déferlé. Il s’est cramponné à une bouée. La mer l’a avalé puis miraculeusement recraché.
« Le problème maintenant, c’est de survivre. On ne pourra pas toujours compter sur l’aide » d’urgence apportée par le gouvernement, les ONG et les États étrangers qui, comme les États-Unis, ont engagé d’importants moyens en hommes et matériel, se lamente le pêcheur.
« Nous ne sommes pas riches, mais nous étions heureux »
Au bout d’un étroit chemin de côte, un conseiller municipal, Nonelon Wenceslao, organise l’abattage d’un porc errant. Autour de lui, une petite foule demande sa part.
Un drapeau philippin claque au vent devant un large panneau en bois sur lequel est écrit: « Aidez-nous. Nous avons besoin de nourriture et d’eau ».
Des enfants s’égayent au passage d’un hélicoptère militaire apportant l’aide, d’autres jouent sur une plaque de béton morcelée à l’endroit où s’élevait avant la tempête un restaurant de fruits de mer.
« Nous ne sommes pas riches, mais nous étions heureux, nous avions tout », assure Nonelon Wenceslao. « Il ne reste plus rien. Nos bateaux sont détruits. Comment commencer à reconstruire quand on n’a même pas de quoi survivre? ».
Un pêcheur gagne entre 500 et 800 pesos (8-13 euros) par jour. Avant Haiyan, les touristes apportaient un important complément.
« Nous implorons le gouvernement de nous aider. S’il vous plaît, aidez-nous à construire des bateaux », lance Nonelon Wenceslao.
Marjohn Mugas, 23 ans, n’a pas eu le temps d’attendre. Sa femme et leurs deux enfants n’ont presque rien mangé pendant une semaine après le typhon.
Alors il a raccommodé tant bien que mal ses filets démaillés et les a jetés dans des eaux peu profondes, capturant escargots de mer et de rares poissons. Accompagné par un journaliste de l’AFP, il sort un poisson-lait. La prise lui arrache un sourire.
« C’est un poisson d’eau douce, il vient sûrement d’étangs détruits par la tempête. Ça ira pour aujourd’hui », dit-il. « Demain est un autre jour ».