« Mieux connaître l’Océan impose
le projet d’un jumeau numérique »
Par
Pascal Lamy
Vice-président d’Europe Jacques Delors, Président de la Mission européenne Starfish
et
Geneviève Pons-Deladrière
Directrice Générale et Vice-présidente d’ Europe Jacques Delors, membre de la Mission européenne Starfish.
En 1869, Jules Vernes imaginait un sous-marin, le Nautilus, capable de plonger « vingt mille lieues sous les mers » pour découvrir ces milieux fascinants que constituent les grandes profondeurs. Plus de 150 ans plus tard, et pour accélérer les progrès scientifiques et techniques, il est temps de mettre à profit les potentialités du numérique pour explorer les milieux marins afin de les régénérer.
La santé de l’Océan, et plus généralement de tout le système aquatique, est sévèrement menacée par les activités humaines, que ce soit le changement climatique, la pollution, l’urbanisation, ou encore la surpêche. A la lumière de ce constat, la Mission européenne « Restaurer l’océan » (Starfish 2030) a fait des propositions ambitieuses pour atteindre cinq objectifs : la restauration des écosystèmes marins et aquatiques, l’élimination de la pollution, la décarbonation de l’économie bleue, la refonte de la gouvernance et l’amélioration de la connaissance de l’Océan.
Une réplique numérique de l’Océan
C’est dans le cadre de ce dernier volet que s’est imposé le projet d’un jumeau numérique de l’Océan. Il s’agit d’une idée ambitieuse : construire une réplique numérique de l’Océan sous toutes ses dimensions à l’aide de l’intelligence artificielle et d’une combinaison de modèles. Ce jumeau numérique visera à décrire et à simuler les principales fonctions et propriétés du système aquatique et océanique, nous permettant de comprendre ce que nous aurions autrement mis des décennies à découvrir. Dans un premier temps européen, et ensuite de portée mondiale, il permettra l’évaluation de différents scénarios et facilitera ainsi une prise de décision éclairée par la science.
Ce « Nautilus virtuel », dont Mercator Ocean International a contribué à poser les premières pierres en tant qu’agent du système satellitaire Copernicus (1), requerra un important travail interdisciplinaire à l’échelle européenne et des États membres, à commencer par le recueil d’une masse nouvelle d’observations spatiales et marines. Le monde de la recherche et de la science et celui de la politique maritime et de la protection de l’environnement, devront coopérer étroitement pour que les premiers servent au mieux les seconds.
Un jumeau européen relié au monde
L’océan ne connaît pas de frontières. Construire un jumeau numérique de l’océan européen n’a de sens que si on le relie au reste du monde, pour faire en sorte qu’il soit à la hauteur de nos investissements et de nos attentes en termes de connaissance. Dans cette perspective, nous devons d’ores et déjà prévoir l’interaction et l’interopérabilité de notre jumeau avec d’autres.
Vladimir Ryabinin, Secrétaire exécutif de la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO en charge de la Décennie des Nations Unies pour la science océanographique au service du développement durable (2021-2030), s’est engagé en ce sens. Nous devons aussi réfléchir dès maintenant à la priorisation des sujets de recherche en prenant en compte les principales menaces et les attentes citoyennes. La question du partage des découvertes et des résultats avec les pays en développement se posera également
Le jumeau numérique de l’océan n’est plus un rêve. La Présidente de la Commission Ursula von der Leyen a annoncé, à l’occasion du sommet One Ocean de Brest (2), qu’il serait opérationnel d’ici 2024. La science est à portée de main, il ne tient qu’aux responsables politiques de faire en sorte que la réalité soit à la hauteur de nos attentes.
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(1) Copernicus est le programme européen d’observation et de surveillance de la Terre (anciennement appelé GMES/ Global Monitoring for Environment and Security). C’est un des deux programmes européens majeurs aux côtés de GALILEO. Source Mercator Ocean International
(2) Le One Ocean Summit, entièrement dédié à l’Océan, s’est tenu à Brest, à l’initiative de la France, du 9 au 11 février dernier.