« Le gaz est une variable de flexibilité dont nous avons besoin. »
Propos recueillis par Bertrand de Lesquen
Quelle est la situation de la France en termes d’approvisionnement énergétique à l’approche de cet hiver 2022. Doit-on s’en inquiéter et si oui, pourquoi ?
La France est aujourd’hui dans une meilleure situation que celle de ses voisins en ce qui concerne son approvisionnement énergétique. Cela tient notamment à sa réglementation qui l’oblige à gérer avec prudence ses réserves en gaz. Par ailleurs, face aux menaces pesant sur ses approvisionnements en gaz par gazoduc, la France a accru ses importations de gaz naturel liquéfié. On peut parler d’un véritable « modèle français », fondé sur la diversification des approvisionnements, qui constitue un facteur de résilience énergétique en cas de crise pour notre pays. Aujourd’hui(1), les réservoirs de gaz français sont pleins, ce qui permet d’envisager relativement sereinement la saison hivernale, si, toutefois, cette dernière n’est pas exceptionnellement froide. En effet, le gaz étant, en France, principalement utilisé pour le chauffage des appartements et des maisons, il n’est pas impossible que nous nous trouvions à cours de gaz à l’issue de l’hiver si ce dernier est particulièrement rigoureux…
La réduction, l’interruption, voire l’arrêt des approvisionnements russes en gaz naturel a fait du gaz naturel liquéfié (GNL) – dont vous êtes un spécialiste – un nouvel enjeu. Qu’en est-il précisément ?
Le gaz naturel liquéfié (GNL) offre de nombreux avantages que la crise a mis en lumière. Le premier est que le GNL permet au consommateur de ne pas dépendre d’un seul fournisseur : avec des terminaux et des méthaniers, un pays peut s’approvisionner en GNL dans de nombreux pays, contrairement au gaz livré par gazoduc. L’autre avantage est que l’on peut stocker le GNL à l’état liquide puis à l’état gazeux, contrairement aux énergies renouvelables ou encore à l’énergie nucléaire, qui ne peuvent pas être stockés ou très mal. Or, dans une situation tendue comme celle que nous connaissons aujourd’hui, pouvoir stocker l’énergie est essentiel. Rappelons aussi que le GNL est l’énergie fossile la moins polluante aujourd’hui, par rapport au charbon et au fuel. Enfin, malgré les fortes augmentations du prix du gaz sur le marché « spot » au cours des derniers mois(2), le gaz reste une énergie très abordable par rapport à d’autres énergies si l’on regarde le prix des contrats à long terme. Pour toutes ces raisons, je suis convaincu que le gaz, et particulièrement le gaz naturel liquéfié, est aujourd’hui une composante essentielle du mix énergétique de la transition vers un monde bas-carbone.
Le parc français de réacteurs nucléaires ne sera pas totalement opérationnel cet hiver. Que pensez-vous de cette situation et par ailleurs, quelle place doit définitivement avoir, selon vous, le nucléaire en France ?
Il est certain que la situation dans laquelle se trouve le parc nucléaire français aujourd’hui tombe au plus mauvais moment, puisqu’elle survient de façon simultanée avec la baisse drastique des approvisionnements en gaz en provenance de la Russie. On paye probablement le prix d’un mix énergétique pas suffisamment diversifié… Mais la France dispose d’une filière nucléaire de grande compétence et je ne doute pas qu’elle soit pleinement mobilisée pour trouver des solutions rapidement face à cette situation. Par ailleurs, on redécouvre aujourd’hui que le nucléaire est une énergie bas-carbone et qu’elle doit donc jouer un rôle important dans la transition énergétique.
Quel est, selon vous, le mix énergétique idéal pour « sécuriser » la France ?
Un bon mix énergétique doit à la fois s’appuyer sur un socle, et pouvoir répondre aux pointes de consommation énergétique. Le socle, en France, c’est d’un côté l’énergie nucléaire, grâce à une filière française d’excellence nous offrant des technologies sûres et fiables. L’autre composante du socle, ce sont les énergies renouvelables, et on ne peut qu’espérer que leur part s’accroisse dans le mix global le plus vite possible. Tout d’abord parce qu’elles sont décarbonées ou faiblement carbonées, et ensuite parce que ce sont des énergies gratuites (le vent, le soleil, …), dont le coût est essentiellement l’amortissement des infrastructures. Mais un socle constitué de nucléaire et de renouvelables est vulnérable. Je l’ai dit précédemment, on ne peut pas stocker l’énergie nucléaire et, pour le moment, on sait très mal le faire pour les énergies renouvelables. Or, il faut gérer les pics de consommation d’une part et l’intermittence des énergies renouvelables d’autre part. Dans ce contexte, le gaz est une variable de flexibilité dont nous avons besoin. Au-delà des avantages que j’ai cités précédemment, les centrales à gaz peuvent être démarrées très rapidement et donc répondre aux pointes de consommation. Le mix énergétique idéal d’une France souveraine, résiliente et vertueuse doit donc comporter du nucléaire, une part la plus importante possible d’énergies renouvelables, et du gaz, en variable d’ajustement pour pallier les intermittences, les pointes de consommation mais aussi, on le voit depuis plusieurs mois, les situations de crise.
GTT se diversifie dans l’hydrogène. Pourquoi et de quoi parle-t-on précisément ?
Dans le cadre de la mission du groupe GTT, qui consiste à mettre la technologie au service d’un monde durable, l’hydrogène vert constitue une solution énergétique que nous regardons de très près et depuis plusieurs années maintenant. Notre feuille de route hydrogène repose sur deux piliers. Nous sommes d’abord présents sur la production et le stockage d’hydrogène vert, avec notre filiale Elogen, la seule société à produire des électrolyseurs en France avec une technologie innovante de membrane échangeuse de protons. Nous sommes convaincus que l’amélioration de l’efficacité des électrolyseurs, et donc l’innovation technologique qui permettra cela, est la clé du développement de l’hydrogène vert. L’autre pilier de notre développement dans l’hydrogène vert est bien évidemment son transport. En effet, l’hydrogène vert étant principalement produit là où l’énergie renouvelable est abondante et bon marché, il faudra le transporter. Or transporter l’hydrogène sur de longues distances, de façon sûre et compétitive, n’est pas quelque chose que l’on sait faire aujourd’hui. Mais c’est un défi technologique que GTT est en train de relever, avec le développement d’un « hydrogénier » en collaboration avec Shell. Pour transporter l’hydrogène, il faut liquéfier l’hydrogène, à une température de -253 degrés, très proche du zéro absolu. Notre projet est très prometteur puisqu’il y a quelques mois, GTT a réalisé quelques premières avancées technologiques majeures avec l’obtention de deux approbations de principe par la société de classification DNV. Qu’il s’agisse de la production, du stockage ou du transport de l’hydrogène vert, le groupe GTT fait ce qu’il a toujours fait, c’est-à-dire innover, toujours et encore, pour repousser les frontières technologiques. C’est particulièrement crucial si l’on veut atteindre, un jour, un monde décarboné.
- Cette interview a été réalisée le 26 septembre 2022.
- Le marché « spot » est apparu avec l’ouverture à la concurrence du marché du gaz naturel au début des années 2000. Auparavant, le marché s’articulait autour de contrats signés entre producteurs et fournisseurs sur le long terme, pour des durées de 25 ans. Le marché spot prend le contre-pied de ce fonctionnement : les transactions sont effectuées au jour le jour, et les prix sont fixés « on the spot », c’est-à-dire sur le moment et au comptant.