La pêche en eaux profondes suspendue à un vote du Parlement européen

Le vote, à la mi-journée, s’annonce serré tant les parlementaires européens sont divisés y compris au sein même de leur propre famille politique.

Le chalutage en eaux profondes consiste à tracter un filet sur les fonds marins compris entre 400 à 1.500 mètres sous la surface des flots. Pratiquée essentiellement au large de l’Ecosse et de l’Irlande, cette technique de pêche est très critiquée par certaines associations de défense de l’environnement, qui la jugent très destructrice pour les coraux et peu sélective.

La commissaire chargée de la pêche, Maria Damanaki, a proposé d’interdire le chalutage en eaux profondes dans l’Atlantique nord-est d’ici à deux ans. Plutôt qu’une interdiction générale, la commission pêche du Parlement européen a demandé aux parlementaires d’interdire la pêche dans les seules zones vulnérables, listées par la Commission, où se trouvent éponges, coraux et d’autres écosystèmes marins fragiles.

Mais un sursaut écologiste en France, porté par le succès d’une bande dessinée publiée par Pénélope Bagieu, a changé la donne: le groupe des Verts a ressuscité le projet de Mme Damanaki d’interdiction totale du chalutage en eaux profondes. Mis sous pression par une intense campagne pro-abysses, le Parlement européen pourrait reprendre à son compte la proposition initiale de la Commission européenne.

Lors d’un débat houleux lundi soir en séance plénière, le rapporteur de la résolution de la commission pêche, le socialiste grec Kriton Arsenis, a mis en exergue la mauvaise volonté des gouvernements à protéger les grands fonds, pour appeler les eurodéputés à voter « pour un mandat fort ».

Soutenir le compromis envisagé de départ, alors qu’il est voué « à être encore édulcoré » sous pression du trio France-Espagne-Portugal qui assure 90% de cette activité, « n’aurait pas de sens » a-t-il lancé, s’attirant des accusations de « trahison » de la part des opposants à l’interdiction.

Parmi eux, le conservateur français Alain Cadec a émis l’espoir « que le bon sens l’emporte » pour refuser de bannir le chalutage dans l’immédiat, et donner à l’UE les moyens de préserver à la fois « l’environnement et l’emploi ».

Laminage des fonds marins

En France, les emplois menacés par une interdiction varieraient de 500, selon le ministre français de la Pêche, Frédéric Cuvillier, à jusqu’à 3.000 selon les représentants de la Scapêche, premier armateur national de pêche fraîche, qui contrôle pour le compte du distributeur Intermarché six des neuf navires français directement visés.

« Des milliers de pêcheurs seraient condamnés » par une interdiction, « en Ecosse, Irlande, France, Espagne et Portugal. Des régions entières vont être entrainées vers le précipice », a plaidé la socialiste bretonne Isabelle Thomas qui est contre une interdiction totale de ce type de pêche.

Mme Damanaki a rejeté ces arguments, soulignant que les bateaux visés par l’interdiction étaient minoritaires.

« Les pêcheurs n’auront pas à rester au port, ils pourront changer de technique pour passer à des engins plus durables », a-t-elle mis en avant.

Remplacer chaluts et filets maillants par des palangres, moins ravageuses pour les abysses, permettrait de sauver, voire de multiplier par six les emplois dans la pêche en eaux profondes, selon les militants écologistes, au premier rang desquels l’association française Bloom animée par l’ex-journaliste Claire Nouvian.

Car pour les partisans de l’interdiction, les ravages du chalutage sont totalement disproportionnés à ses gains, d’autant que cette technique de pêche est, selon eux, non-rentable, ne devant sa survie qu’aux subventions européennes.

Laminage des fonds marins comme sous l’effet d’un bulldozer, risque d’extinction d’une centaine d’espèces fragiles piégées dans les filets avec la poignée de poissons commercialisables: « des milliers de scientifiques disent stop. Ils sont plus nombreux que les pêcheurs concernés », a plaidé le libéral britannique Chris Davies.

« Ceux qui abîment les mers doivent être arrêtés. A terme c’est le chalutage profond qui menace les emplois » en mettant en danger faune et flore des océans, a mis en garde de son côté l’eurodéputée centriste danoise Anna Rosbach.

Voir les autres articles de la catégorie

Le Bénin et la mer

Découvrez GRATUITEMENT le numéro spécial consacré par Marine & Océans au Bénin et la mer

N° 282 en lecture gratuite

Marine & Océans vous offre exceptionnellement le numéro 282 consacré à la mission Jeanne d’Arc 2024 :
  • Une immersion dans la phase opérationnelle de la formation des officiers-élèves de l’École navale,
  • La découverte des principales escales du PHA Tonnerre et de la frégate Guépratte aux Amériques… et de leurs enjeux.
Accédez gratuitement à la version augmentée du numéro 282 réalisé en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine et lÉcole navale

OCÉAN D'HISTOIRES

« Océan d’histoires », la nouvelle web série coanimée avec Bertrand de Lesquen, directeur du magazine Marine & Océans, à voir sur parismatch.com et sur le site de Marine & Océans en partenariat avec GTT, donne la parole à des témoins, experts ou personnalités qui confient leurs regards, leurs observations, leurs anecdotes sur ce « monde du silence » qui n’en est pas un.