L’issue du vote s’est joué dans un mouchoir de poche, avec 342 voix contre l’interdiction et 326 pour, au vu des divisions des parlementaires européens y compris au sein de leur propre famille politique.
Les eurodéputés ont à défaut largement soutenu le compromis qui avait été dégagé par les membres conservateurs et socialistes de la commission de la Pêche du parlement, se limitant à encadrer le chalutage profond pour protéger les écosystèmes les plus vulnérables.
Cette technique de pêche consiste à tracter un filet sur les fonds marins compris entre 400 à 1.500 mètres sous la surface des flots.
Pratiquée essentiellement au large de l’Ecosse et de l’Irlande, elle est dénoncée par les écologistes et le gros de la communauté scientifique comme particulièrement destructrice pour les fonds marins, et les espèces fragiles des grands fonds.
Les représentants de l’industrie européenne de la pêche se sont immédiatement félicité du sursis accordé à cette pratique, assurée à 90% par la France, l’Espagne et le Portugal.
Il s’agit d’une reconnaissance « que la pêche en eau profonde peut s’exercer de manière durable et responsable en préservant l’équilibre crucial mais fragile entre la protection de l’environnement et celle des territoires maritimes auxquels des milliers d’emplois sont attachés », a déclaré Olivier Le Nézet, président de Blue Fish qui représente les intérêts des armateurs.
« C’est la victoire de la raison », le Parlement européen a choisi l’option « garantissant la préservation à la fois de l’environnement et des emplois », s’est aussi prévalu la socialiste française Isabelle Thomas.
En France, les emplois menacés par une interdiction auraient varié de 500, selon le ministre français de la Pêche, Frédéric Cuvillier, à jusqu’à 3.000 selon les représentants de la Scapêche, premier armateur national de pêche fraîche, qui contrôle pour le compte du distributeur Intermarché six des neuf navires français qui étaient directement visés.
Mais l’argument avait été contré lundi par la commissaire chargée de la pêche, Maria Damanaki, pour qui il suffirait aux pêcheurs d’abandonner le chalutage au profit de la palangre, moins destructrice, pour garantir, voire augmenter, les emplois.
Le Parlement européen a cédé à « la logique productiviste du toujours plus, plus loin, plus profond » malgré « les destructions considérables du milieu marin que cette technique de pêche provoque », a déploré le vert français Jean-Paul Besset.
A l’origine d’une vaste mobilisation anti-chalutage en France à la tête de son association Bloom, Claire Nouvian a dénoncé une « victoire du lobbying acharné des industriels ».
Limiter les dégâts
Grâce au ralliement à sa campagne de Pénélope Bagieu, dont une bande dessinée en forme de plaidoyer ludique pour les grands fonds avait fait le buzz, Bloom avait recueilli plus de 750.000 signatures pour l’interdiction du chalutage.
Tentant de faire contre mauvaise fortune bon coeur, l’organisation PEW de protection de l’environnement a toutefois jugé que « les mesures convenues par le Parlement européen pourront, si elles sont appliquées, aider à limiter les dégats infligés aux écosystèmes des grands fonds ».
Cet encadrement prévoit de renforcer la prise en compte d’avis scientifiques pour fixer les quotas d’espèces profondes, de réduire les prises accessoires piégées dans les filets, et d’évaluer l’impact environnemental avant l’ouverture de zones à la pêche profonde.
Mais pour entrer en vigueur, ce cadre doit encore être avalisé par les gouvernements, ce qui semble peu probable avant les prochaines élections européennes, les 28 traînant des pieds depuis des mois sur ce dossier.
Le rapporteur du projet, Kriton Arsenis, avait d’ailleurs mis en exergue lundi la mauvaise volonté des gouvernements à protéger les grands fonds, pour réclamer « un mandat fort » via l’adoption de l’interdiction.
Se limiter au compromis comme l’a finalement fait le Parlement européen, alors qu’il est voué « à être encore édulcoré n’aurait pas de sens » avait-il lancé.