Jean-Dominique Marras, pêcheur professionnel d’oursins en Corse depuis plus de 15 ans, connait sa « pire saison ».
« Tous les éléments s’y sont mis: du mauvais temps, et lors du peu de beau temps, les oursins étaient vides. Il y en a beaucoup moins. Mais ce n’est pas que la surpêche, il y a certainement un problème de reproduction », avance-t-il à l’AFP, s’interrogeant sur un possible problème « de température de l’eau ou de pollution ».
Alors certes, « à l’échelle de la Corse, on ne s’oriente pas vers une extinction de la population d’oursins », rassure Sonia Ternengo, de la plateforme scientifique Stella Mare, à Biguglia (Haute-Corse): « Mais des endroits ont été très braconnés », accuse-t-elle.
Cette baisse de la ressource s’observe sur toute la Méditerranée française, depuis 2017: vers Marseille, « les densités sont descendues à 1,5 oursin par m2 contre 2 à 2,5/m2 auparavant », souligne Marie Bravo-Monin, directrice du parc marin de la Côte Bleue.
Le long de cette côte, entre Marseille et Martigues, les traditionnelles « oursinades », où des tonnes de « châtaignes de mer » sont avalées sur le pouce chaque hiver, prennent une drôle de tournure: la plupart des oursins viennent désormais de Galice (Espagne) ou d’ailleurs.
« Quand on soulève les pierres, on en voit deux ou trois petits, avant il y en avait 30. La naissance se fait, mais pas en quantité », confirme William Tillet, patron-pêcheur à Martigues.
« Il y a plusieurs causes, mais c’est essentiellement la surpêche, même si ça ne plait pas aux pêcheurs », explique Mme Ternengo, dont l’équipe est parvenue à maîtriser la reproduction des oursins en laboratoire.
– Jachères au Cap Corse –
En 2021, un pêcheur amateur a ainsi été retrouvé avec 985 oursins sur la Côte Bleue, sans doute pour les revendre à des restaurateurs, alors qu’il n’avait droit qu’à quatre douzaines par jour.
Mais d’autres facteurs, comme la modification du plancton, qui impacte les larves d’oursin, sont également avancés. A Marseille, paradoxalement, c’est l’amélioration de la qualité de l’eau qui aurait fait disparaître de fortes concentrations d’oursins, qui se nourrissaient des eaux usées rejetées, énumère Mme Bravo-Monin.
Enfin, il y aurait l’augmentation de la température de l’eau.
Selon une étude de l’Université australienne de Curtin, le réchauffement de l’Océan Indien aurait entraîné la disparition d’un grand nombre d’invertébrés tels que les mollusques et les oursins présents sur l’île Rottnest, à 20 km au large de Perth.
Or, l’été 2022, la Méditerranée occidentale a connu une canicule marine, avec des pics à 28-30 degrés. Ce qui pourrait à terme modifier la faune et la flore, selon Karina Von Schuckmann, océanographe allemande auprès de Mercator Océan International.
Face à cette raréfaction des oursins, dont la récolte est seulement autorisée du 15 décembre au 15 avril, et qui mettent quatre ans pour atteindre une taille comestible, les professionnels corses envisagent même « de fermer deux ou trois ans la pêche », rapporte Xavier D’Orazio, pêcheur à Ajaccio. Mais à condition que cette décision émane de l’Etat, souligne-t-il, pour que les pêcheurs soient indemnisés.
Dans le parc naturel marin du Cap Corse, « quatre zones de jachère » ont d’ores et déjà été mises en place depuis novembre, pour trois ans.
Si Sonia Ternengo n’est pas contre une fermeture de la pêche, elle rappelle que « Stella Mare travaille sur des relâchés d’oursins (…), pour ne pas arriver à cette extrémité ».
Les pêcheurs provençaux discutent eux « d’un moratoire de trois ans sur la pêcherie d’oursins, mais les avis sont loin d’être unanimes », indique Pierre Motta, à la direction interrégionale de la Méditerranée.
Il faut être « certain que ça fonctionne », confirme William Pillet à Martigues. Quotas, raccourcissement du calendrier de pêche, toutes les options sont sur la table.
Le Conseil scientifique du parc marin de la Côte Bleue penche lui pour des zones de jachère précises, mais sur des temps plus longs. Sur le modèle de celles mises en place pour le corail rouge.