+ Quelle est l’ampleur des canicules?
En juillet, 44% des océans du monde subissent des vagues de chaleur marines, un record depuis 1991, selon l’Administration océanographique américaine NOAA, qui estime que cette proportion pourrait atteindre 50% d’ici à septembre-octobre.
La température mondiale des océans avoisine 21°C, proche du record absolu (21,1°C). L’Atlantique Nord atteint 24,5°C, avec une canicule persistante, depuis fin mai, dans le golfe de Gascogne et au large du Portugal.
En Méditerranée, on relève même 30°C localement (4°C au-dessus des normales) entre la Sicile et Naples, selon Thibault Guinaldo, chercheur en océanographie spatiale au Centre d’études en météorologie satellitaire (CEMS) de Lannion (Côtes d’Armor).
+ Comment les expliquer?
« Il y a plein d’hypothèses. Mais la tendance de fond, c’est que la température de l’océan augmente avec le réchauffement climatique », précise Thibault Guinaldo.
Au niveau mondial, les vagues de chaleur marine ont doublé en fréquence depuis l’ère préindustrielle, selon les experts climats du Giec.
A cela, il faut ajouter « la variabilité naturelle » du climat, selon M. Guinaldo. Sur l’Atlantique Nord, un vent faible a réduit le brassage des eaux de surface, dans un contexte anticyclonique propice au réchauffement, avec moins de nuages pour réfléchir le rayonnement solaire.
Dans l’Océan Pacifique, c’est plutôt la montée en puissance du phénomène climatique cyclique El Niño qui contribue à réchauffer les eaux.
+ Comment réagissent les écosystèmes?
« La recrudescence des vagues de chaleur a tendance à fragiliser les écosystèmes. Ça peut provoquer des effondrements de population ou des déplacements de populations vers des eaux plus froides », estime Roland Séférian, climatologue au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) à Toulouse.
Lors des canicules 2015-2019 en Méditerranée, une cinquantaine d’espèces (coraux, gorgones, oursins, mollusques, bivalves, posidonies, etc.) ont été affectées par des mortalités massives entre la surface et 45 mètres de fond, selon un article paru en juillet 2022 dans la revue scientifique Global Change Biology.
Certaines espèces, comme les poissons, vont migrer vers les pôles à la recherche d’eaux plus fraîches, tandis que d’autres vont « migrer en profondeur », selon M. Séférian, qui souligne cependant les « zones d’ombre liées à la capacité d’adaptation, de résilience ou de migration » des écosystèmes marins.
« Il y a plein de choses qu’on ne connaît pas. C’est très difficile d’anticiper les événements de mortalité de masse », ajoute le chercheur. Ainsi, « pour les coraux, si les vagues de chaleur sont peu intenses et rapprochées, une résilience se met en place », note-t-il, ajoutant que le réchauffement climatique « a tendance à transformer les écosystèmes en profondeur ».
+ Quelle vie dans les océans à l’avenir?
Sous l’effet du réchauffement climatique, les vagues de chaleur pourraient être de 20 à 50 fois plus fréquentes d’ici à la fin du siècle, par rapport à l’ère préindustrielle, selon le Giec, qui anticipe aussi une aggravation de leur intensité et de leur étendue.
« Il y a des espèces qui vont profiter de ce changement par effet d’aubaine. Les méduses sont des organismes qui vont bénéficier d’un océan plus chaud, elles vont devenir plus nombreuses », relève M. Séférian. « Peut-être que l’océan du futur, c’est un océan plein de méduses ».
L’écosystème est-il déjà en train de changer? Lors d’une campagne menée au printemps dans le golfe de Gascogne, les scientifiques de l’Ifremer ont été surpris d’observer des bancs de crabes nageurs, ainsi que « beaucoup d’animaux planctoniques gélatineux notamment des salpes ».
« Nous observons chaque année ces crabes mais nous ne les avions jamais vu aussi nombreux et organisés en bancs », explique Erwan Duhamel, chercheur en halieutique et coresponsable de la campagne Pelgas, cité dans un communiqué.
« La présence de ces crabes, méduses et salpes en quantités importantes indique un possible changement de l’écosystème », ajoute-t-il. « Il y a encore quelques années, on considérait qu’une année sur quatre était une année à méduses. Maintenant, c’est pratiquement le cas tous les ans. »