La grande puissance maritime d’autrefois n’a pas échappé à un déclin inévitable. Pourtant, elle se maintient sur la scène internationale. Retour sur l’histoire de la Sérénissime, en proie à de nouveaux défis.
Déjà habitées à l’époque romaine, les îles de la lagune de Venise possèdent une géographie singulière. Elles se situent à l’extrémité de la grande plaine du Pô, au nord de l’Italie, à l’embouchure du fleuve du même nom et au début de la mer Adriatique. C’est au déclin de l’Empire Romain que ces îles se constituent en villes. En 421, Venise est fondée comme un port refuge pour les populations fuyant les invasions barbares. Son emplacement insulaire en fait un centre commercial prospère, au carrefour entre l’Europe et l’Orient.
Au début du Moyen-Age, la cité gagne en puissance avec le commerce maritime et grâce à ses liens privilégiés avec l’Empire byzantin. La Sérénissime s’impose progressivement comme une importante puissance navale de la Méditerranée. République depuis ses débuts, Venise a, en partie, réussi grâce à sa grande stabilité politique. La cité est dirigée par un doge, qui est un magistrat nommé à vie, dont les modalités d’élection évolueront tout au long de la vie de la puissance maritime. Venise est également une importante puissance religieuse, avec Saint-Marc, saint patron de la ville à qui est dédiée la grande Basilique. Elle participe à la 4e croisade en 1204 ainsi qu’à la prise de Constantinople et obtient de nombreux territoires, notamment en Grèce actuelle.
Malgré cela, la religion est plutôt détachée de l’État. Au XVème siècle, la ville atteint son apogée et domine le commerce et la géopolitique de la Méditerranée orientale. Elle possède alors un grand territoire allant des côtes balkaniques à l’Asie Mineure en passant par la Crète. La chute de Constantinople en 1453 et les conflits, notamment avec les Ottomans, érodent l’hégémonie de Venise. Elle est ruinée par la perte de ses monopoles avec la découverte de l’Amérique, à laquelle elle n’a pas pris part, et le développement des nouvelles routes maritimes. Face à son déclin commercial, Venise a su se réinventer et devient un pôle culturel incontournable. Tournée vers l’art et la culture, elle est un refuge pour nombre d’artistes et exerce une influence considérable, notamment sur l’architecture, la peinture et la littérature
La République de Venise prend fin en 1797 durant la campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte. Le Grand Conseil décide de voter l’abolition des institutions de la République face aux menaces du futur empereur français, mettant fin à plus d’un millénaire d’indépendance de la cité. Depuis le XIXe siècle, Venise est devenue une destination touristique prisée. Souvent considérée comme la plus belle ville du monde, le tourisme, en constante hausse, n’empêche pas le déclin de la population, passée de plus de 300 000 habitants au XVe siècle, à 50 000 aujourd’hui
Aujourd’hui, plusieurs menaces pèsent sur la cité Vénitienne. D’abord, la ville s’enfonce littéralement dans la mer. Entre 1915 et 2015, elle s’est affaissée de 26cm ! En cause : des phénomènes géologiques naturels accentués par l’activité humaine et le réchauffement climatique. La ville est victime de son succès : Venise est mise en péril par le tourisme de masse, presque 30 millions de visiteurs annuels contre environ 50 000 Vénitiens, soit quasiment 600 touristes pour 1 habitant ! Le gouvernement prévoit une entrée à la ville payante en 2025 après une phase de test en 2024. Enfin, l’acqua alta, ce phénomène périodique qui fait craindre que Venise soit un jour ensevelie par les eaux, est au cœur de nombreuses recherches depuis les années 70 afin d’en limiter l’impact pour les habitants et la ville tout entière.
MOSE, opérationnel depuis 2020 et ayant déjà fait ses preuves, est le système de digue artificielle le plus prometteur pour sauver la ville des fortes inondations à répétitions. Signifiant « Moïse » en italien, le dispositif concentre les espoirs d’une majorité de la population. Le barrage est composé de 78 digues flottantes articulées autour des trois embouchures reliant la lagune a la mer Adriatique. Lorsque le niveau de la mer dépasse les 110cm, les vannes métalliques se soulèvent afin d’empêcher l’eau de rentrer. Les scandales financiers et politiques ont ralenti les travaux qui ont finalement duré 20 ans, au lieu des 8 estimés, et coûté pas moins de 6 milliards, 4,5 de plus que prévu. Aujourd’hui, MOSE est toujours critiqué pour son efficacité réelle et son impact sur l’écosystème marin.
Venise se retrouve, une fois de plus, face à des défis de taille. Reste à savoir si les projets pour protéger la sérénissime des eaux suffiront à sauver ce qui fut l’une des plus grandes cités maritimes de l’histoire de l’humanité.
Par Arthur Benoit