La CIJ octroie une zone maritime au Pérou: Lima crie victoire, « regrets » au Chili

Peu après la décision, le président péruvien Ollanta Humala, dont le pays avait saisi la CIJ il y a six ans, avait qualifié cette décision de « motif de satisfaction » alors que son homologue chilien Sebastian Piñera faisait part de son « regret » quant à la perte de droits maritimes de son pays hérités de la guerre du Pacifique (1879-1883).

Fait rarissime, cette décision induit une révision de la frontière maritime entre les deux pays en accordant au Pérou un territoire de quelque 22.000 kilomètres carrés se trouvant entre 80 et 200 milles marins au large du continent sud-américain. Selon M. Humala, cette décision « change l’histoire du Pérou ».

Les deux présidents se rencontreront mercredi à La Havane, en marge du sommet de la Communauté d’Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) qui s’y tient le 28 et 29 janvier.

Le dirigeant péruvien avait prévu de voyager mardi, mais après avoir pris connaissance de la décision, son homologue chilien lui a demandé de venir mercredi « afin qu’ils puissent se voir, et le président Humala a accepté », selon la ministre péruvienne des Affaires étrangères Eda Rivas.

« C’est très important, car cela montre la volonté des deux présidents de mener (ce sujet) à bien, avec de bonnes manières », a-t-elle ajouté, précisant que M. Piñera voyagera en compagnie de Michelle Bachelet, élue récemment présidente du Chili, et de son futur ministre des Affaires étrangères, Heraldo Muñoz.

« Une perte » pour le Chili

Accusant le Chili de s’approprier ses eaux territoriales, le Pérou réclamait la souveraineté sur une zone poissonneuse de l’océan Pacifique de 38.000 kilomètres carrés sous contrôle chilien ainsi que sur une zone de 27.000 km2 considérée par Santiago comme faisant partie des eaux internationales.

« Nous avons gagné plus de 70% du total de notre demande », s’est réjoui le président péruvien en s’adressant à la nation, alors qu’à Lima, les Péruviens ayant regardé la lecture de l’arrêt sur des écrans géants installés dans le centre historique de la ville se sont exclamé « Vive le Pérou! ».

Les deux pays s’étaient engagés à respecter l’arrêt, quelle que soit la décision.

A Santiago, le président chilien a estimé depuis le Palais de la Moneda que « même si le Chili conserve pleinement ses libertés de navigation dans cette zone, cette cession constitue sans aucun doute une perte pour notre pays ».

Pourtant, certains analystes estiment que l’arrêt n’affectera que peu les pêcheurs chiliens. Les petits pêcheurs, notamment, ne s’écartent en effet que d’environ 40 milles marins des côtes.

« En matière de pêche, les Chiliens maintiennent le statu quo, ce qui est dommage pour les pêcheurs de Tacna », ville péruvienne frontalière, estime notamment Daniel Parodi, historien de l’Université catholique du Pérou.

Le président de l’association des pêcheurs « artisanaux » du sud du Pérou, David Patino, a assuré que cette décision ne bénéficierait en rien à sa région. « Tacna (ville du sud du Pérou, NDLR) a perdu avec cet arrêt », a assuré M. Patino : « nous espérions que Tacna pourrait avoir ses 200 milles nautiques ».

« Relation plus productive »

Le Chili n’avait accepté qu’à contrecoeur de se rendre à La Haye, assurant que la frontière maritime entre les deux pays était fixée par des traités de 1952 et 1954 portant sur les zones économiques, ce que conteste le Pérou.

La CIJ a finalement conclu que les deux pays étaient en fait « d’accord » sur une frontière maritime, que celle-ci « s’étend à une distance de 80 milles nautiques » des côtes, mais pas au-delà, a assuré le juge président Peter Tomka au cours d’une audience publique au Palais de la Paix, à La Haye.

Pour la zone située entre 80 et 200 milles marins, les juges se sont employés à déterminer un nouveau tracé de la frontière maritime afin d’obtenir « un résultat équitable ». La zone considérée comme faisant partie des eaux internationales par le Chili est maintenant sous souveraineté péruvienne.

Selon de nombreux observateurs, l’arrêt devrait clore l’épilogue de la guerre du Pacifique et permettre aux deux voisins, importants partenaires économiques, de mettre un terme à leurs rancoeurs historiques.

Mario Artaza, chercheur de l’Université de Santiago du Chili, a expliqué à l’AFP que « pour le Chili cela a été douloureux, mais la perte est minime par rapport à ce que réclamait le Pérou ».

« La Cour a reconnu beaucoup des points de vue chiliens et comme le Pérou a également obtenu une victoire, cela devrait mettre un point final au débat frontalier avec le Pérou », a-t-il ajouté.

« Maintenant il devrait y avoir une relation plus productive avec le Chili et les affaires vont se multiplier », prédit de son côté Luis Benavente, politologue péruvien.

Le Chili était sorti vainqueur de ce conflit emblématique qui a redessiné, à leur détriment, les contours du Pérou et de la Bolivie. Le Pérou avait perdu 25% de son territoire et la Bolivie son accès à la mer.

L’arrêt a été suivi de près par la Bolivie, qui avait envoyé un représentant à l’audience. Elle aussi saisi la CIJ, réclamant au Chili la possibilité de négocier un accès à la mer, perdu à l’issue de la guerre du Pacifique.

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