Abondant jusqu’au début du XXe siècle dans les principaux fleuves d’Europe occidentale où il se reproduisait avant de migrer vers l’Atlantique ou la Méditerranée, l' »acipenser sturio », reconnaissable à son museau pointu et à sa peau sans écaille, a quasiment disparu depuis la fin des années 1990, malgré son statut d’espèce protégée en France à partir de 1982 et en Europe depuis 1992.
« On saura dans dix ans si l’espèce est sauvée », résume Vanessa Lauronce, océanographe et chargée de mission pour Migado, association de restauration des poissons migrateurs, gérant le seul site mondial de reproduction de l’esturgeon européen à Saint-Seurin-sur-l’Isle (Gironde).
Autrefois, sur les rives de la Gironde, les pêcheurs remontaient des spécimens centenaires pouvant peser jusqu’à 300 kilos pour trois mètres de long. Aujourd’hui, le véritable « caviar aquitain », issu de l’esturgeon européen, n’est plus qu’un souvenir, remplacé par des oeufs d’esturgeons sibériens (« acipenser baerii »), espèce non endémique élevée en eau douce.
En cause, « la surpêche, mais aussi la pollution des milieux aquatiques et l’extraction de granulats sur les frayères », les zones de reproduction au fond des fleuves, explique Marie-Laure Acolas, chercheuse à l’Institut national de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), qui co-gère le site de Saint-Seurin. Autant de facteurs qui, en un siècle, ont « réduit la population de ce poisson, pourtant vieux de 200 millions d’années, à quelques milliers d’individus », tous issus du bassin Gironde-Garonne-Dordogne.
C’est dans ce même bassin qu’en 1994 est observée la toute dernière reproduction naturelle du migrateur qui naît en zone fluviale, grandit quatre à cinq ans en estuaire, avant de partir en mer, puis de revenir se reproduire dans son fleuve natal.
Horizon 2022
Vingt ans après, l’heure est à un optimisme prudent. La réussite de la première reproduction assistée en 2007 à partir de spécimens en captivité à la station d’élevage expérimentale de Saint-Seurin-sur-l’Isle a fait renaître un espoir, même si le cycle de maturité sexuelle particulièrement long – dix ans pour le mâle, 15 ans pour la femelle – rend la restauration de l’espèce « difficile », selon Marie-Laure Acolas.
« Il a fallu beaucoup de temps pour acclimater les esturgeons européens en piscine : trouver la bonne eau, la bonne température, arriver à les faire manger, on a essayé beaucoup de choses », détaille Vanessa Lauronce devant les bassins de Saint-Seurin-sur-l’Isle où 60 géniteurs sont élevés. Malgré les progrès, « il y a encore beaucoup de choses qu’on ne connaît pas » sur cette espèce, reconnaît-elle.
La reproduction en captivité permet aujourd’hui de donner vie à des centaines de milliers d’alevins relâchés chaque année dans la Garonne et la Dordogne, au stade de larves (8 jours) ou de juvéniles (trois mois). De 6.000 alevins en 2007, les lâchers sont passés à 240.000 en 2011, 700.000 en 2012, puis 500.000 en 2013.
Résultat, de plus en plus d’esturgeons sont capturés accidentellement en mer ou dans l’estuaire de la Gironde. En 2012, 320 prises ont été déclarées par les pêcheurs, dont les compte-rendus sont indispensables pour affiner les connaissances sur les conditions de survie des poissons.
« Ces résultats sont encourageants, mais nous saurons vraiment si notre pari est gagné quand nous pourrons observer les premières reproductions en milieu naturel, à l’horizon 2022 », insiste Vanessa Lauronce. « Il faut encore lever certains verrous », confirme Marie-Laure Acolas, notamment définir plus finement « à quel moment les esturgeons sont prêts à se reproduire » et « mieux connaître ce qui se passe quand ils sont en eau douce ».
Devant le succès de cette première étape, un « plan national d’actions en faveur de l’esturgeon européen » (2011-2015) a été lancé sous l’égide du ministère du Développement durable, avec une enveloppe annuelle de 1,8 million d’euros, pour amplifier la recherche et mieux coordonner tous les acteurs de ce sauvetage enfin prometteur.