A l’ombre de Bordeaux, un Médoc à la peine

« Le Médoc, cette terre que le monde entier nous envie ». Bernard Guiraud, maire de Lesparre-Médoc (5.600 habitants) au coeur de la presqu’île, le reconnaît : ce slogan louant les splendeurs viticoles et touristiques de cette région du nord-ouest de la Gironde, s’éloigne de plus en plus de la réalité d’un territoire en crise.

Car si l’économie des châteaux, parmi lesquels les plus célèbres du monde (Margaux, Latour, Lafite Rothschild…) aux mains d’industriels ou de financiers, s’est progressivement déconnectée de celle du territoire, la péninsule médocaine (97.000 habitants) est aussi victime de sa position à l’ombre de Bordeaux et de sa dynamique communauté urbaine (CUB).

Commerces « malmenés » par la concurrence des centres commerciaux de la banlieue bordelaise, difficultés à attirer des cadres, dépréciation de l’immobilier : « On est face à des dynamiques défavorables », reconnaît Sébastien Hournau, le maire de Pauillac, bourg de 5.000 habitants à 60 km de Bordeaux.

A côté de jeunes, souvent peu qualifiés, réticents à quitter le territoire, nombre de nouveaux venus aux revenus modestes s’installent dans le Médoc faute de loyers abordables dans l’agglomération bordelaise.

« Depuis quelques années, il y a plus en plus de gens en difficultés », victimes de la crise économique, constate Annie Bonnet, responsable d’une banque alimentaire à Lesparre-Médoc. « Des familles arrivent aussi de Bordeaux sans emploi, comptant sur des loyers moins chers et la possibilité de faire son potager, espérant gagner un peu d’argent avec des boulots saisonniers », explique-t-elle.

– Sentiment d’abandon –

Au centre de Pauillac, qui pleure sa splendeur passée du temps des transatlantiques, mais aussi le départ de la raffinerie Shell dans les années 1980, la proximité des grands crus n’y change rien : la rue piétonne a vu fermer de nombreux commerces en quinze ans. « On a perdu la classe moyenne, des populations précaires sont arrivées, le chômage n’a cessé d’augmenter », témoigne, résignée, Manuela Dansse, bijoutière dans le centre-ville depuis 40 ans.

Parallèlement, les trajets pendulaires se sont allongés en raison des embouteillages à l’entrée de Bordeaux et le train n’est pas forcément d’un grand secours, avec des usagers qui se plaignent de pannes récurrentes sur une ligne à une seule voie. « C’est comme si, dans le Médoc, pour le train, on n’était pas dans le 21e siècle », ironise le secrétaire régional de EELV (Europe Ecologie les Verts), Stéphane Saubusse, fondateur d’une association d’usagers.

Un enclavement qui fragilise le tissu social et économique. Les statistiques de l’Observatoire de la précarité de la Gironde montrent que les disparités se creusent au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la CUB. A Saint-Vivien-Médoc ou Lesparre-Médoc dans le nord de la presqu’île, le taux de chômage atteint 16%, contre 8% dans le périurbain de Bordeaux.

Des difficultés qui nourrissent chez les habitants un sentiment d’abandon. En quelques années, le Front national a creusé son sillon, capitalisant aussi sur un terrain laissé libre par Chasse, nature, pêche et tradition (CNPT). Après une forte poussée à la présidentielle de 2012, le parti d’extrême droite a finalement échoué à présenter une liste aux municipales à Pauillac, mais il n’est pas passé loin, soulignent plusieurs observateurs.

– « Zones d’équilibre » –

Le Médoc n’est toutefois pas le seul à subir « l’aspirateur » de la CUB : les statistiques révèlent l’apparition d’un véritable « arc de la pauvreté » aux marges est, nord et ouest de la Gironde. A chaque fois, des régions viticoles excentrées, où les services publics résistent difficilement.

Face à ces difficultés, les élus médocains bataillent farouchement pour changer l’image de leur territoire, avec un maître-mot : « L’emploi ». Valorisation des métiers viticoles, professionnalisation de la filière touristique, télétravail, revitalisation des installations portuaires, création d’un Parc naturel régional… les projets sont nombreux.

Depuis 2011, le Conseil général promeut également la création de « zones d’équilibres » pour atténuer les effets d’une économie départementale à deux vitesses. Dans le Médoc, l’objectif est de consolider la filière prometteuse de production de « matériaux composites » qui emploie déjà 800 personnes.

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