Phyto-Victimes s’installe en Guadeloupe pour aider les victimes du chlordécone

Capesterre-Belle-Eau (France), 28 jan 2024 (AFP) – Dans le petit local de la CGT Guadeloupe, à Capesterre-Belle-Eau (sud-est), Jean-Marie Normertin pèse ses mots pour présenter à une dizaine d’ouvriers de la banane l’association Phyto-Victimes, censée accompagner les demandes d’indemnisations des victimes du chlordécone.

« Cette association fait un travail assez important pour faire reconnaître les maladies professionnelles. Les aider, c’est nous aider aussi. Il faut établir une liste de travailleurs contaminés », plaide, en français comme en créole, le secrétaire général du syndicat sur l’île.

Phyto-Victimes, l’association nationale d’aide aux victimes de pesticides, vient d’ouvrir une antenne en Guadeloupe pour aider ceux qui voudraient faire appel au fonds d’indemnisation créé par l’Etat en 2020 dans le cadre du plan Chlordécone IV.

De 1972 à 1993, ce pesticide a été utilisé pour lutter contre l’invasion du charançon dans les plantations de bananes, malgré ses dangers, connus dès les années 1960, pour la population.

Aujourd’hui, Santé Publique France estime que près de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone et le risque de développer une pathologie liée à une surexposition concerne un quart des Martiniquais et 14% des Guadeloupéens.

Pourtant, les Guadeloupéens restent peu nombreux à demander une indemnisation. Selon la coordinatrice du plan chlordécone de l’Etat, Edwige Duclay, 81 dossiers d’indemnisation ont été remplis en Guadeloupe, et 130 en Martinique, où l’association est installée depuis deux ans. Des chiffres peu élevés comparés aux plus de 12.000 travailleurs de la banane aux Antilles.

Mais le nombre de demandes « double chaque année, souligne-t-elle, précisant qu' »une vingtaine de rentes sont en cours de versement » en Guadeloupe et « une quarantaine en Martinique ».

Créée en 2011 dans l’Hexagone par des professionnels du monde agricole, l’association s’est déjà implantée, non sans difficulté, en Martinique depuis janvier 2022. Dans ces régions où la défiance vis-a-vis de l’Hexagone reste forte, certains se méfient de cette association subventionnée par l’Etat.

« Je respecte les associations qui se battent et arrivent à exister dans l’adversité », salue M. Normertin, expliquant que Phyto-victimes est là pour « aider à monter des dossiers ».

Les ouvriers écoutent, attentifs: tous ont travaillé dans les champs de bananes. Certains ont déjà déposé des dossiers « mais on n’a aucune information », déplore Jean-Marie Normertin.

Une femme présente un courrier et le tend à Antoine Lambert, le président de Phyto-Victimes.

« Il est écrit que votre dossier est en cours », répond le président de Phyto-Victimes: « Gardez-bien tous les documents que l’on vous a donnés jusqu’à maintenant, gardez même les enveloppes, et faites des copies de tout ».

– Colère –

Les instructions peuvent prendre « six à 10 mois », poursuit-il, détaillant les démarches et le système d’indemnisation. Le cancer de la prostate -les populations antillaises présentent un des taux d’incidence les plus élevés au monde- représente « la très grande majorité des dossiers », rappelle-t-il.

Parmi les ouvriers, parole et colère se libèrent. « J’ai du chlordécone à forte dose mais je n’ai pas de symptômes », interpelle Thierry Dupuy, 53 ans, petite queue de cheval et lunettes fumées.

« J’ai travaillé 27 ans dans la banane, j’ai 5,63 microgrammes (la valeur de référence est de 0,4 microgramme par litre de sang), pourquoi il faut être malade, presque mort, pour être indemnisé? », s’emporte-t-il.

Un autre homme explique être atteint d’un cancer et être sur le point de déposer un dossier.

Antoine Lambert affirme à l’AFP que les sommes allouées par l’Etat pour cette pathologie s’élèvent à environ 300 euros par mois, des montants considérés comme « une insulte » par Jean-Marie Normertin.

Aux ouvriers, cependant, il rappelle que c’est « le fonds (créé par l’Etat, ndlr) qui décide des indemnisations, pas Phyto-Victimes », et que monter des dossiers est nécessaire.

D’autres acteurs se montrent dubitatifs, tel le leader syndical Elie Domota qui plaide pour un élargissement des indemnisations à « toute la population exposée ».

« On a 12.700 travailleurs de la banane aux Antilles », rappelle le député socialiste guadeloupéen Elie Califer, pour qui le nombre de dossiers indemnisés « est nettement insuffisant » et qui déposera une proposition de loi, fin février, pour que la France reconnaisse sa responsabilité et pour ouvrir l’accompagnement et l’indemnisation à l’ensemble de la population.

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