« Pour se laver les dents, c’est à la bouteille d’eau et pour la douche, c’est dans le jardin avec un gant de toilette, des lingettes et l’eau de pluie », continue d’énumérer le conseiller commercial de 46 ans, père de deux enfants.
Sa commune du Gosier, dans le sud de la Grande-Terre, n’est plus alimentée depuis une rupture sur le réseau le 19 mars, provoquée par des « actes de malveillance », selon les autorités.
Deux des communes les plus peuplées de Guadeloupe, Le Gosier et Les Abymes, subissent depuis lors ces coupures totales ou partielles, sur un archipel qui connaît un problème récurrent d’approvisionnement depuis des années.
La situation est d’autant plus compliquée, pour Bertrand Tissot, qu’il n’a « pas le temps » d’aller récupérer les packs d’eau délivrés par les mairies: le collège de son fils, scolarisé en 6e, a fermé en raison du manque d’eau, comme plusieurs autres établissements. Il doit le garder.
« Depuis quatre jours, la nuit, quand on entend qu’il pleut, on sort, on remplit des bidons à la gouttière », raconte également Denis Mojon, 66 ans, venu en Guadeloupe pour son anniversaire de mariage.
La situation est « pénible », assure le retraité, dont la famille fait bouillir l’eau avant de faire la vaisselle.
Chez eux, les bidons de 5 litres d’eau récupérée « sont marqués d’une croix rouge, pour qu’on ne la boive pas ».
Marie Mayoute, elle, « trimballe » depuis une semaine « dix bonbonnes de 18 litres d’eau » dans sa voiture, pour les vider dans la citerne de 300 litres de son cabinet dentaire: « Pour pouvoir bosser, sinon on ferme ».
« Cette citerne, on l’avait installée, au cas où, pour les coupures qui ne durent d’habitude que 24 heures », raconte la dentiste de 39 ans, dont le cabinet est installé à Morne Vergain, aux Abymes.
« La tolérance a des limites et je me demande jusqu’à quand », peste-t-elle.
– « On pète les plombs » –
Le préfet de la région a assuré que l’alimentation en eau devait être rétablie jeudi dans trois villes de Guadeloupe, dont Les Abymes et Le Gosier.
En attendant, les conséquences ruissèlent sur tous les pans de la société.
Le syndicat FSU Guadeloupe a dénoncé mercredi « la situation sanitaire catastrophique que subissent les étudiants », notamment ceux logés en résidence universitaire.
Célia Renia, étudiante en master logée sur le campus de Fouillol, à Pointe-à-Pitre, a dû retourner vivre chez ses parents à Basse-Terre. Elle n’a « pas pu répondre à (ses) besoins élémentaires d’hygiène », justifie-t-elle auprès de l’AFP.
« A cela s’ajoute le fait que le restaurant universitaire est fermé par manque d’eau, donc pas de plats à un euro », déplore la jeune femme.
Camille Galim Arnaud, 20 ans, étudiante en alternance originaire de Martinique, ramène « quatre bouteilles d’eau » chaque soir du travail.
« J’ai une scoliose, je ne peux pas porter de charge lourde normalement mais là, je suis obligée, je n’ai pas de voiture », raconte-t-elle.
Depuis quelques jours, elle se dit « obligée de quantifier l’eau » qu’elle boit ou donne à son chat.
Les coupures sont « récurrentes et invivables ». Aujourd’hui, Camille Galim Arnaud manque de « vêtements propres, car la laverie, en bas, n’a plus d’eau non plus ».
« Je me sens tellement sale (…) Je n’imagine même pas les femmes qui ont leurs règles en ce moment (…) A la résidence on pète les plombs ! »
Une situation qui a décidé l’étudiante martiniquaise à « quitter la Guadeloupe à la fin de l’année », qu’elle « trouve une entreprise ou pas »: « Aujourd’hui, je ne pense qu’à mon départ ».