« Il a coulé en quelques secondes », a relevé le directeur d’enquête, de la brigade de surveillance du littoral de Biéville-Beuville (Calvados), qui a passé en revue pendant plus de quatre heures devant le tribunal maritime la succession de manquements ayant conduit selon lui au naufrage.
Le 14 janvier 2021, Quentin Varin, le patron du Breiz, avait appelé les secours pour une avarie de barre lors d’une pêche à la coquille Saint-Jacques au large de Port-en-Bessin (Calvados).
Remorqué par un canot de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) de Ouistreham, le navire avait fait naufrage en pleine nuit pendant l’opération, entraînant la mort du patron et de ses deux matelots, les frères Jimmy et Steven Gibert, âgés de 19 et 26 ans.
Selon l’enquêteur, M. Varin, 27 ans, avait été enregistré indûment par les autorités comme capitaine du bateau de pêche sans avoir le diplôme requis.
Il a également pointé du doigt le co-armateur (à 51%) qui n’a pas vérifié l’équipage de son navire, totalement inexpérimenté pour l’activité pratiquée.
Le navire lui-même, « vétuste », qualifié « d’instable » par M. Varin lors de remontées de cargaison, était « en surcharge avant même de commencer la pêche », et a été qualifié de « cercueil, (de) baignoire », lors d’auditions d’autres marins rapportées par le directeur d’enquête.
Le major a aussi incriminé l’action de la SNSM lors du remorquage fatal: l’absence de veille par les équipiers du canot SNSM dont « cinq étaient malades, et trois dormaient », provoquant un délai de 46 secondes entre l’alerte du remorqué et la réaction du remorqueur, suffisant pour laisser couler ce dernier « en une minute ».
Il a enfin mis en cause une vitesse trop élevée lors du sauvetage et un itinéraire « dangereux » au-dessus de hauts fonds.
– Quatre minutes –
Dans des conditions de mer « difficiles », le CROSS (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) Jobourg et la SNSM avaient décidé que la meilleure option était de demander au canot tout temps de la SNSM de Ouistreham de venir chercher le navire en panne pour le ramener au port.
Reparti vers 21H10, le convoi a progressé pendant plus de deux heures avant que Quentin Varin ne crie « débraye débraye débraye ! » à la radio à 23h35.
Quatre minutes plus tard, le Breiz a coulé, emmenant avec lui Quentin Varin et ses deux matelots, prisonniers du poste de pilotage à quelques milles au large de Lion-sur-mer.
Parmi les cinq prévenus figure le capitaine du canot de la SNSM sorti porter secours au coquillier. Il est renvoyé devant le tribunal maritime pour négligence et faux dans un document de bord.
Sont aussi jugés le co-armateur du navire, deux fonctionnaires de la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) et un expert maritime, pour homicides involontaires.
Les auditions de différents fonctionnaires de la DDTM, mardi après-midi, n’ont pas permis de savoir pourquoi ni sur ordre de qui M. Varin avait été enregistré comme capitaine.
Une fonctionnaire qui a procédé à l’enregistrement affirme « ne pas se souvenir » de la personne qui lui a donné le nom au téléphone. Son avocate Aline Lebret a dénoncé « l’absence de fondement juridique » des poursuites à son encontre.
La compagne d’un des matelots décédés, Iman Guilbert a pris place dans le tribunal avec sur ses genoux un portrait des deux frères matelots décédés et de leur père.
Maître Hélène Kozaczyk, avocate de la veuve du patron, a déclaré à l’AFP que sa cliente « souhaite avant tout comprendre » ce qui a mené au naufrage, « au-delà de l’accumulation de fautes » relevées dans les différents rapports.
Pleine à craquer, la salle d’audience n’a pas pu accueillir l’ensemble du public venu assister à l’ouverture de ce procès qui a provoqué une vague d’émotion dans la milieu de la pêche et parmi les 9.000 bénévoles de la SNSM.