« Pour éviter la tempête, fixons dès maintenant un cap clair pour l’économie maritime » (Nathalie Mercier-Perrin)

Par Nathalie Mercier-Perrin, Présidente du Cluster maritime français

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À l’issue d’une séquence politique marquée notamment par l’avènement d’un ministère délégué chargé de la mer et de la pêche, il est temps, pour la nouvelle équipe gouvernementale et les parlementaires, de poursuivre et d’amplifier l’action initiée précédemment, dans un contexte budgétaire dégradé. L’urgence de concrétiser les mesures entreprises et d’en mettre en place de nouvelles est à la hauteur de l’importance de notre secteur maritime pour notre économie nationale. Plusieurs actions devront être prioritairement fixées. Parmi celles-ci, le maintien de la taxe au tonnage, mesure de protection européenne instituée de longue date, devra être impérativement assurée afin de préserver la compétitivité du transport maritime français et européen face à une concurrence internationale toujours plus agressive. En protégeant les compagnies européennes, la taxe au tonnage a permis d’enclencher un nouvel élan, créateur de valeur et pourvoyeur d’emplois, qui bénéficie aujourd’hui à l’ensemble des filières de l’écosystème maritime et par extension à l’économie tout entière.

Véritable colonne vertébrale de notre économie nationale, le secteur maritime garantit nos souverainetés. La mer permet non seulement notre approvisionnement mais assure aussi le bon déroulement de nos échanges commerciaux. Près de 75 % des importations et exportations françaises transitent par voie maritime. Par ailleurs, plus de 95 % de nos communications passent par des câbles sous-marins qui s’étendent sur 1,2 millions de kilomètres.

La décarbonation repose en partie sur le développement de l’éolien en mer. De ce fait, le secteur maritime représente un véritable levier de croissance et d’indépendance nationale, et doit à cet égard être autant préservé que soutenu. Le développement et l’attractivité de ses filières représentent donc un enjeu crucial pour la France.

Forte de sa zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial. Cet atout géographique est propice au développement d’une économie bleue pérenne pour l’Hexagone et les territoires outre-mer, dont la DGOM (Direction générale des outre-mer) présentera les principaux enjeux aux prochaines Assises de l’Économie de la mer en novembre 2024 à Bordeaux.

En 2023, l’économie bleue française a généré une valeur de production de plus de 119 milliards d’euros, tout en offrant plus de 486 000 emplois directs. La seule filière du transport maritime a représenté un marché de 2 000 milliards d’euros. À l’horizon 2030, l’ambition est de porter la valeur de production du maritime à 150 milliards d’euros et le nombre d’emplois à un million.

LES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ : SÉCURITÉ, DÉCARBONATION, COMPÉTITIVITÉ 

Les enjeux de souveraineté liés l’économie bleue sont nombreux et concernent des aspects géopolitiques, économiques ou environnementaux.

La sécurité du transport maritime est un enjeu central. Les routes maritimes, de plus en plus exposées aux menaces géopolitiques, telles que la piraterie, les cyberattaques ou les conflits armés, doivent être mieux sécurisées. Depuis fin 2023, elles subissent davantage d’attaques perpétrées par les rebelles Houthis du Yémen notamment, près du détroit de Bab-el-Mandeb. Pour faire face à cette menace nouvelle et défendre nos intérêts, la Marine nationale a déployé plusieurs frégates qui se sont illustrées face à ces attaques.

Un deuxième enjeu crucial est la décarbonation du secteur maritime. Bien que le transport maritime soit le moins émetteur en termes de volume de marchandises transportées et malgré les mesures prises par les armateurs pour diminuer leurs émissions, il continue à émettre une certaine quantité de gaz à effet de serre (GES).

Les engagements pris au niveau national et européen, à travers des législations de plus en plus strictes, visent à réduire davantage ces émissions. L’Union européenne, à travers le paquet « Fit for 55 » et son initiative FuelEU Maritime adoptée en juillet 2023, œuvre à la production à grande échelle de carburants marins renouvelables, tout en garantissant la compétitivité du trafic maritime.

Enfin, la compétitivité économique du secteur maritime, de nos entreprises et de nos ports, est également un enjeu clé dans cette dynamique de transition. Les dispositifs spécifiques mis en place au niveau national avec le Registre international français par exemple, comme au niveau européen avec la taxe au tonnage, permettent de renforcer la compétitivité française et européenne.

Concernant la filière de l’industrie navale, le dumping asiatique par des subventions massives fausse la concurrence au niveau global et affecte la compétitivité du « made in Europe ». La loi Le Gac de juillet 2023 constitue certes un progrès notable qui restreint fortement le dumping transmanche à l’échelle nationale, toutefois ce combat doit désormais s’affirmer à une échelle plus large.

La filière des énergies marines renouvelables (EMR) connait une forte croissance ces dernières années. Le Pacte pour l’éolien en mer a pour objectif d’atteindre la création de 20 000 emplois sur le territoire d’ici 2035 dans le cadre de l’attribution d’environ 2 GW de projets par an dès 2025 et une capacité installée de 18 GW en 2035 et de 45 GW en 2050.

La filière de l’industrie navale française connait, elle aussi, une croissance élevée. Entre 2023 et 2024, elle enregistre une augmentation de 14,8 % en valeur de production. En étant plus productive, elle devient aussi plus compétitive avec plus de la moitié de son chiffre d’affaires réalisé à l’export.

UN PLAN STRATÉGIQUE ET DES MOYENS D’ACTION

Ces ambitions communes nécessitent des moyens d’action alliant les acteurs privés et publics. Le plan stratégique du Cluster Maritime Français en cours d’élaboration vise à répondre à cet objectif en donnant aux parties prenantes une feuille de route adaptée aux besoins du secteur.

D’abord, il est essentiel de répondre au besoin accru de financements en offrant une vision et un cap clair, qui facilitent la mobilisation des capacités bancaires et assurantielles, aux côtés des investisseurs publics. Ces investissements doivent soutenir la recherche et l’innovation, ainsi que la transition éco-énergétique du maritime, indispensables à un avenir durable de la filière.

Attirer les nouveaux talents est une autre priorité pour garantir la compétitivité du secteur. Nous œuvrons à rendre les métiers de la mer plus attractifs et accessibles en valorisant les carrières maritimes et en offrant des formations adaptées.

Parmi les actions menées, nous présentons, grâce à l’ONISEP, des métiers auprès de plusieurs milliers de collégiens et de lycéens, au travers d’événements en ligne, qui ont rencontré un grand succès.

Comme souligné encore dans le rapport de Yannick Chenevard, il est aussi primordial d’installer durablement une flotte stratégique, mobilisable par l’État et destinée à faciliter l’usage de navires commerciaux pour renforcer les moyens des forces armées, à travers notamment l’établissement d’une doctrine commune entre la marine marchande et la Marine nationale.

Dans une vision globale enfin, les ressources mobilisées et la réunion des acteurs privés et publics assurent la souveraineté du secteur et sa compétitivité à long terme. Ces efforts collectifs construisent un avenir maritime durable pour une économie bleue française indépendante et prospère.

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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