La pause de 90 jours décidée par Donald Trump sur une partie des surtaxes à l’importation, à l’exception notable de celles visant la Chine, est à nouveau venue bouleverser la donne après un début d’année agité.
« Dans les trois semaines qui ont précédé l’annonce, on a vu un ralentissement des échanges et beaucoup de bateaux n’étaient remplis qu’à 50% sur le trafic transatlantique et transpacifique vers les Etats-Unis », observe Alexandre Charpentier, spécialiste transport associé au cabinet Roland Berger.
Pendant cette période, les prix du fret maritime ont reculé et les expéditeurs ont conservé leurs stocks par prudence.
« On a l’effet inverse » depuis une dizaine de jours, poursuit Alexandre Charpentier. La décision du représentant au commerce de la Maison Blanche (USTR) jeudi de taxer les navires fabriqués en Chine lorsqu’ils accosteront dans les ports américiains à partir de mi-octobre risque également d’accélérer les choses.
Près de la moitié des bateaux construits dans le monde sortent des chantiers navals chinois.
« Les gens veulent acheminer au maximum vers les Etats-Unis, ils déstockent, et c’est la ruée vers les places », détaille M. Charpentier. Au point qu’il est parfois difficile d’acheminer un conteneur et que les prix sont repartis à la hausse.
– Baisse des tarifs –
Sur le long terme, les compagnies craignent malgré tout une baisse des tarifs de fret, comme cela a été le cas en 2018-2019, lors du premier mandat de Donald Trump et l’instauration de barrières douanières pourtant moins importantes que celles d’aujourd’hui.
A l’époque, les transporteurs avaient été confrontés à « un phénomène de surcapacité, une baisse des tarifs de fret, une augmentation de leurs coûts et en fin de compte, une réduction de leurs recettes », rappelle Sandy Gosling, spécialiste transport et logistique chez McKinsey.
« Il est difficile de voir l’avenir mais ce qui nous semble être le plus probable, c’est un déclin de certaines routes au profit d’autres pays d’Asie du Sud-Est ou de l’Inde », anticipe Alexandre Charpentier.
Anne-Sophie Fribourg, vice-présidente du commissionnaire de transport britannique Zencargo, s’attend à voir la liaison Chine-Etats-Unis devenir déficitaire.
Si cela se confirme, « les armateurs vont réajuster leurs rotations. Donc se détourner des routes traditionnelles pour se tourner vers de nouvelles routes, comme vers l’Amérique latine qui a une demande assez croissante depuis pas mal de temps », observe-t-elle.
Pour l’instant, les grandes compagnies internationales comme MSC, CMA CGM ou Maersk n’ont pas redéployé leur flotte pour s’adapter à la nouvelle donne.
– Changement de routes –
La compagnie allemande Hapag-Lloyd a dit ne constater « aucun changement sur l’Atlantique » mais « un recul massif de la Chine », compensé par « une nette augmentation de la demande en Asie du Sud-Est ».
La société de conseil Boston Consulting Group, dans une note à ses clients, a dit s’attendre à un fort déclin des échanges Chine-Etats-Unis et une hausse des échanges au sein du « Sud global », composé des pays émergents et des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
D’après l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le commerce mondial de marchandise pourrait reculer de 1,5% en volume en 2025 en fonction de la politique douanière de Trump. Elle envisage même un effondrement de 81% du volume commercial entre la Chine et les Etats-Unis.
Le secteur maritime a surmonté de nombreuses crises ces dernières années. Après la désorganisation des chaines logistiques pendant les années Covid, l’obligation de contourner l’Afrique par le Cap de Bonne espérance en raison des attaques Houthis en Mer Rouge depuis le 7 octobre 2023, les armateurs ont développé « une agilité pour changer de route », approuve Anne-Sophie Fribourg de Zencargo.
« Le redéploiement des flux sur d’autres zones va prendre un certain temps », complète tout de même Alexandre Charpentier.
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