« Ce qu’on aimerait maintenant, c’est enfin changer de séquence », souffle le président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). « Ça fait un an qu’on est dans la survie, la haine, la destruction, la faillite ».
Son bâtiment, qui abritait un Intermarché, une banque, une boulangerie, un centre médical, n’a vu rouvrir que la pharmacie de l’autre côté de la route. Une partie du complexe sera sauvé, le reste attend d’être démoli, le temps de s’entendre avec les assurances.
Lundi, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a réuni à huis clos les délégations indépendantistes et non-indépendantistes pour tenter de leur faire signer un accord sur l’avenir de l’archipel, exsangue après les violences de mai 2024 qui ont fait 14 morts et plus de deux milliards d’euros de dégâts. Un accord plus que jamais nécessaire.
Car sur le plan économique, la Nouvelle-Calédonie continue de s’enfoncer. Selon la CCI, 11.000 emplois ont été supprimés depuis mai 2024. La consommation s’effondre, les départs – 12.900 de plus que d’arrivées sur un an fin mars, selon les données de l’aéroport de Nouméa – s’accélèrent.
– « Un bateau qui sombre » –
Et la confiance des chefs d’entreprise, déjà fragile, s’érode davantage. En février, une étude commandée par la CCI révélait que 79% des entreprises n’avaient pas confiance en l’avenir du territoire, contre 63% en octobre 2024.
« Le tissu économique est grandement fragilisé et tous les indicateurs montrent qu’on n’est pas loin d’un effondrement systémique », résume David Guyenne.
Dans son grand magasin vide de clients, Thierry Lebiez, directeur général du groupe Modulia, résume l’ambiance: « Il ne se passe rien ! » Son chiffre d’affaires a plongé depuis les émeutes et « c’est de pire en pire », constate-t-il: « On est comme un bateau en train de sombrer tout doucement pendant que ça palabre ».
Pourtant, lui aussi a cru à une reprise. Après de premiers mois catastrophiques, « une dynamique s’était plus ou moins mise en place et tout le monde a pensé, à un moment donné, qu’il allait se passer quelque-chose », explique-t-il. Les discussions sur l’avenir politique du territoire s’éternisant, l’attentisme l’a emporté.
Thierry Lebiez n’a pourtant pas licencié. Son groupe, plus solide que d’autres, a résisté au choc. Mais les aides existantes – défiscalisation, dispositifs de trésorerie ou chômage partiel – ne suffisent plus pour nombre d’entrepreneurs.
« Il faut un déclic de confiance comme pourrait l’être un accord politique », insiste David Guyenne.
– Les plus fragiles en première ligne –
Sur les quais de Nouméa, près du port d’où les bateaux de croisière déversent parfois des touristes australiens, Pierre-Alain Domingo tient bon, tant bien que mal. Ce restaurateur de 39 ans avait ouvert son snack en juillet 2023, quelques mois avant les émeutes.
La consommation est à la peine. « Vu qu’on n’a pas de visu sur le futur, les gens font très attention à ce qu’ils dépensent », constate-t-il.
Travail sept jours sur sept, pas de salaire, des factures d’électricité qui tutoient les 1.000 euros : « Si c’était à refaire, je ne le referai pas », confie ce métropolitain, persuadé que « 90% des professionnels vendraient (leur entreprise) s’ils avaient une belle offre ».
Parmi les plus fragilisés, il y a aussi ceux qui ont tout perdu. Comme Éric, 54 ans, croisé dans un parc de Nouméa, un livre à la main. Originaire de l’archipel de Wallis-et-Futuna, cet ancien employé d’une entreprise de gestion des déchets a été licencié après les émeutes, les locaux de son entreprise ayant été détruits.
L’homme a dû quitter son logement. « Devoir revenir vivre chez sa soeur à mon âge, c’est dur », glisse-t-il. Il s’est inscrit au Giep-NC, un organisme de formation pour demandeurs d’emploi, mais « on est 100 pour une place ».
Ce soir encore, il rentrera à pied chez lui, dans le quartier du 6e kilomètre. Depuis les émeutes, le ticket de bus coûte 500 francs Pacifique (4,2 euros). Trop cher.