La commission des requêtes de la CJR a jugé que cette instance, seule habilitée à juger des ministres pour des faits commis dans l’exercice de leur fonction, était compétente, a indiqué lundi à l’AFP une source judiciaire. Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, va maintenant saisir la commission d’instruction de la CJR, qui mènera l’enquête.
Cette affaire a déjà fait l’objet d’investigations poussées des juges financiers Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire, qui ont renvoyé le 12 juin en correctionnelle six personnes, dont d’anciens hommes de confiance d’Édouard Balladur et François Léotard.
Enquêtant pendant plus de trois ans sur le volet non ministériel de l’affaire, les deux magistrats ont acquis la conviction que la campagne d’Edouard Balladur, qui s’était soldée par sa défaite au premier tour, a été en partie financée par des rétrocommissions sur d’importants contrats d’armement conclus en 1994.
Une thèse qu’Edouard Balladur, par la voix de ses avocats, a de nouveau formellement réfutée lundi. François Léotard n’avait pas réagi.
La thèse des magistrats est que le gouvernement Balladur aurait imposé un nouveau réseau d’intermédiaires dans ces contrats, alors qu’ils étaient quasiment finalisés, afin qu’ils reversent ensuite illégalement à la campagne une partie de l’argent perçu. Porté par des sondages prometteurs, Edouard Balladur avait décidé de se lancer dans la course à l’Élysée contre Jacques Chirac qui avait, lui, le soutien financier du RPR.
Les investigations ont, selon une source proche du dossier, montré que la campagne Balladur avait été alimentée par d’importants apports de fonds en espèces sans qu' »aucune explication cohérente » ne soit apportée par les responsables de la campagne.
L’ex-Premier ministre avait invoqué des ventes de gadgets et de T-shirts en meetings pour expliquer ce versement au Conseil constitutionnel.
Parmi les six personnes renvoyées en correctionnelle, figurent notamment Nicolas Bazire, haut responsable de LVMH, qui avait dirigé la campagne après avoir été directeur de cabinet d’Édouard Balladur, et Renaud Donnedieu de Vabres, qui était conseiller de François Léotard à la Défense.
En ce qui concerne Edouard Balladur, la CJR enquêtera également sur d’éventuels détournements des fonds secrets de Matignon. Cette hypothèse a déjà fait l’objet d’investigations des juges van Ruymbeke et Le Loire, mais elles ont été annulées en mars par la cour d’appel.
– ‘Affaire d’État considérable’ –
Début février, ils s’étaient dessaisis des cas d’Édouard Balladur et François Léotard au profit de la CJR, constatant qu’ils n’étaient pas habilités à enquêter sur ces anciens ministres. Ils ont estimé que Nicolas Sarkozy, ministre du Budget du gouvernement Balladur, devrait être entendu comme témoin assisté par la CJR.
S’ils n’ont pu les entendre, les juges se sont néanmoins intéressés au patrimoine d’Édouard Balladur et François Léotard. Ils ont ainsi enquêté sur les conditions d’acquisition par le couple Balladur d’une propriété à Tourgeville (Calvados) et sur des travaux réalisés dans la villa des Léotard à Fréjus (Var), qui avait été perquisitionnée en 2012 et 2013.
L’affaire Karachi, dont cette enquête sur le financement de la campagne de Balladur est le volet financier, doit son nom à l’attentat qui avait fait 15 morts, dont 11 Français, dans la ville pakistanaise en 2002.
Une enquête antiterroriste est toujours en cours pour en déterminer les responsabilités. Une des thèses sur lesquelles travaille le juge Marc Trevidic est celle selon laquelle l’attaque aurait été commise en rétorsion à une décision de mettre un terme au versement des commissions, prise par Jacques Chirac, adversaire politique d’Édouard Balladur.
Pour Me Olivier Morice, avocat de familles de victimes de l’attentat, la décision de la CJR « démontre à l’évidence que nous sommes bien en présence d’une affaire d’État considérable ».
Les familles regrettent néanmoins que la Cour de justice de la République ne soit pas supprimée « comme s’y était engagé François Hollande alors qu’il était candidat à la présidence de la République », a poursuivi l’avocat.
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LVMH