Pêcheur à Gaza, un métier à hauts risques pour un maigre salaire

Officiellement, les Gazaouis ont le droit de pêcher jusqu’à six milles nautiques (11 km). Les Israéliens qui soumettent la bande de Gaza au blocus étaient censés autoriser les pêcheurs à étendre leur zone de pêche, l’une des rares dispositions concrètes prévues dans l’accord de cessez-le-feu mettant fin à la guerre de juillet-août.

Un mois après, même les six milles — déjà insuffisants pour trouver du poisson disent les pêcheurs — restent inaccessibles.

Ce jour-là, Rami Bakr et ses dix hommes ont à nouveau pris la Méditerranée en fin de journée pour dix heures en mer. Très vite les tirs de semonce ont rasé le bateau et l’équipage et les journalistes de l’AFP ont vu approcher une vedette israélienne. Une dizaine de soldats tiraient à la mitrailleuse dans l’eau tandis qu’un haut-parleur hurlait qu’il fallait s’arrêter.

Pour Rami Bakr, 41 ans dont 31 dans la pêche, « ce sont les pires conditions qu’on n’ait jamais connues. Pendant la guerre, les Israéliens ont bombardé les cabanons de pêche sur la terre et maintenant ils empêchent les pêcheurs de gagner leur pain en mer ».

La bande de Gaza, réputée pour ses fruits de mer et ses poissons — une source tarie par la pollution et les guerres à répétition — compte 4.000 pêcheurs. Plus de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté, indique Nizar Ayach, chef du syndicat des pêcheurs de Gaza.

Lors de la dernière guerre, 80 des 1.500 armements ont été détruits par les bombardements israéliens qui ont réduit en cendres les cabanons de pêche, les filets et les équipements, poursuit-il.

– On ne ramène quasiment rien –

Pour Nizar Ayach, la mésaventure de Rami est loin d’être un cas isolé. « Depuis le cessez-le-feu, de nombreuses agressions israéliennes ont été signalées », dit-il: tirs sur des bateaux à partir de six milles, voire de cinq, entraves à l’exercice du métier etc.

Avec la flambée du prix du carburant, les pêcheurs de Gaza travaillent quasiment à perte désormais. « Une sortie en mer qui nous coûtait 500 shekels vaut 2.000 shekels (547 USD). Il nous faut 270 litres de diesel et 250 d’essence pour le générateur chaque nuit », détaille Mehdi Bakr, un autre pêcheur qui a perdu sa main droite lorsqu’une navette israélienne a tiré sur son bateau en 1997.

Tout ça pour un maigre butin. « Septembre et octobre, c’est la saison de la sardine et on n’en trouve qu’entre six et neuf milles. A moins de six milles, on ne ramène quasiment rien », dit Taha Bakr, pêcheur de 24 ans.

Le métier se pratiquait de père en fils dans sa famille. Mais il ne pourvoit plus aux besoins et le danger est toujours plus grand. Alors ce jeune homme aux yeux verts à la barbe blonde finement taillée s’est inscrit en école de journalisme « pour ne plus jamais pêcher, ce métier est trop risqué ».

Maria José Torres, directrice adjointe du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) à Gaza rappelle que les accords d’Oslo signés en 1993 prévoyaient une zone de pêche pour les Palestiniens jusqu’à 20 milles nautiques. « Il faut absolument élargir la zone au-delà de six milles nautiques pour permettre aux pêcheurs de gagner leur vie », dit-elle car pour le moment « 84% d’entre eux ne survivent que grâce aux aides de l’ONU ».

« Il est loin le temps où on entendait les chants et les rires des pêcheurs en mer et les retours sur la terre les filets pleins », déplore Rami. Lui aimerait juste pêcher « assez pour nourrir (ses) enfants ».

« Nous, les jeunes, on ne se contentera pas de ça. Si ça continue comme ça, il n’y aura plus de pêcheur du tout à Gaza », l’interrompt Mehdi.

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