« Mer blanche, mer à bar », disent les gens de mer. L’homme de 52 ans, à la peau tannée par les éléments sous une barbe de quelques jours, ne se réjouit pas seulement du mauvais temps qui lui a permis de ramener à terre une centaine de kilos de cette espèce de poisson noble à la chair ferme et blanche.
Il se félicite également, et surtout peut-être, de la décision de Bruxelles sur les captures de pêche autorisées en 2016 en Atlantique et mer du Nord, intervenue dans la nuit de mardi à mercredi.
La question du bar était l’un des principaux points de la négociation. Pour les ligneurs et fileyeurs, très dépendants de cette pêche, le moratoire de six mois voulu par la Commission européenne, en raison de l’état « très préoccupant » du stock, a été ramené à deux mois.
« C’est une bonne nouvelle », assure le pêcheur, expliquant à l’AFP que « c’est une très bonne chose pour la ressource ». Le président de l’Association des ligneurs de la pointe de Bretagne, qui compte quelque 120 membres – contre 250 il y a une quinzaine d’années – et responsable français de la plateforme LIFE de la petite pêche européenne estime en outre qu’avec une interdiction de six mois « il n’y aurait plus eu de ligneurs de la pointe bretonne jusqu’à Dunkerque ».
Mais le marin, dont la pêche au bar représente 95% de l’activité, se réjouit également de la décision de Bruxelles de maintenir un moratoire de six mois pour les chalutiers de plus de 12 mètres, de janvier à juin, suivi d’une limitation mensuelle du tonnage pêché.
« Les stocks ont énormément diminué depuis que j’ai commencé dans les années 1980. Il y avait des endroits à l’époque où on pouvait travailler à 40 bateaux et où aujourd’hui il n’y a plus aucun poisson », se souvient ce fils de ligneur, jugeant que si on en est là aujourd’hui « c’est surtout à cause des chalutiers pélagiques », qui pendant 30 ans ont pu pêcher jusqu’à neuf tonnes de bar par quinzaine.
– ‘Quand le bar n’a pas faim…’ –
« Nous, quand le bar n’a pas faim, on ne pêche pas, c’est tout », souligne celui que tout le monde appelle Gwenn, en quittant le petit port de Sainte-Marine, à Combrit, au sud de Quimper, à bord du Bélouga, son bateau en aluminium d’un peu plus de huit mètres.
Le ligneur avance en ligne droite, sous pilote automatique, alors que la houle est grosse avec des creux de quatre à cinq mètres. A l’approche de l’île aux Moutons, non loin d’une zone de vagues déferlantes, le patron ralenti l’allure avant de se positionner à l’arrière du navire avec le matelot à bord pour jeter l’une des six lignes qu’ils devront mettre à la mer avant la tombée de la nuit.
Chacune est dotée de 200 hameçons et mesure un kilomètre de long. Elles seront remontées le lendemain matin.
Les gestes sont mécaniques et sûrs, rapides aussi. Le matelot accroche des petits crabes aux hameçons et tend la ligne qui a été jetée à l’eau. Gwenn dirige le bateau, chahuté par la houle désordonnée, tout en accrochant également des crabes aux pinces vengeresses.
Il faut faire attention à ne pas se prendre un hameçon dans la main, car « ça arrive, surtout quand il y a de la grosse houle », explique le marin, à l’abri des embruns sous son ciré jaune. « Le métier est dangereux », rappelle l’homme qui passe entre 160 et 180 jours par an en mer, la plupart du temps seul sur son bateau.
« Le pêcheur ligneur est l’artisan d’une exploitation durable et raisonnée », affirme celui qui a été qualifié par L’Obs de « José Bové de la mer ».