Marée noire de 2002: la justice espagnole ouvre la voie à une indemnisation

En désignant pour la première fois des responsables civils pour cette catastrophe, la Cour suprême ouvre la voie à une indemnisation des parties lésées par cette catastrophe, une des plus graves ayant touché l’environnement en Europe.

Les dédommagements, concernant essentiellement la France, le Portugal et surtout l’Espagne, pourraient se chiffrer en milliards.

Le 19 novembre 2002, le pétrolier libérien à coque simple, battant pavillon des Bahamas, avait sombré dans l’Atlantique, au large de la Galice, six jours après avoir subi une avarie lors d’une tempête. Pendant plusieurs semaines, plus de 63.000 tonnes de fioul avaient pollué le littoral espagnol, portugais et français, sur des milliers de kilomètres. Plus de 300.000 volontaires venus de toute l’Europe avaient participé au nettoyage des plages et rochers souillés.

Pour la pire marée noire jamais connue en Espagne, la Cour suprême a finalement condamné pénalement à deux ans de prison une seule personne: le capitaine du navire, Apostolos Ioannis Mangouras, aujourd’hui octogénaire.

Il est désigné comme « auteur et responsable d’une atteinte à l’environnement par imprudence avec la circonstance aggravante de dommages catastrophiques ».

L’arrêt de la Cour rappelle cependant que le capitaine, âgé de 67 ans au moment de la catastrophe, était sous traitement médicamenteux après avoir subi une opération du coeur. Et que son équipage était essentiellement composé de jeunes marins philippins inexpérimentés.

Selon un témoignage cité par la Cour, le bateau vieux de 26 ans était normalement « allé à Saint-Pétersbourg pour y mourir ». « Mais il avait été décidé une traversée de plus, qui fut réellement la dernière ». Le bateau était surchargé et si mal entretenu que le capitaine avait dû « naviguer en mode manuel parce que le pilotage automatique ne fonctionnait pas ».

– le capitaine, ‘tête de turc’ –

Pour la première fois, la plus haute instance judiciaire espagnole a cependant déclaré « la responsabilité civile directe » de l’assureur britannique du bateau, The London P&I Club, « à hauteur d’un milliard de dollars », soit le plafond qui figurait dans le contrat d’assurance.

Et elle a pointé la « responsabilité subsidiaire » du propriétaire libérien du pétrolier, Mare Shipping Inc., « qui connaissait l’état réel » du pétrolier.

L’affaire était arrivée en septembre devant la plus haute juridiction pénale espagnole parce que le parquet de la Corogne (Galice, nord-ouest de l’Espagne) et l’Etat français avaient contesté la condamnation – beaucoup trop légère selon eux – prononcée en 2013 par la cour d’appel de Galice.

Le capitaine avait alors été acquitté pour les délits « d’atteinte à l’environnement et à des espaces naturels protégés ». Il n’avait été condamné qu’à neuf mois de prison pour « désobéissance grave à l’autorité », délit que la Cour suprême n’a pas retenu.

Dès 2012, le préjudice avait été chiffré à plus de 4,1 milliards d’euros dont 3,8 pour l’Etat espagnol. En 2013, le gouvernement français avait estimé à 109 millions le coût pour les victimes françaises de la marée noire.

– Rajoy et ‘la pâte à modeler’ –

L’actuel chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, vice-président du gouvernement de Jose Maria Aznar à l’époque, avait minimisé: « émergent quelques petits filaments » qui « ressemblent à de la pâte à modeler », avait-il déclaré, une phrase qui lui a été souvent reprochée.

Mardi, l’organisation de défense de l’environnement Greenpeace a regretté que le capitaine ait été désigné seule « tête de turc ».

« On cherche à protéger ainsi les véritables responsables de la marée noire qui avait recouvert 2.500 km de côtes », a affirmé l’ONG, en évoquant les défaillances liées à la prise en charge du bateau, envoyé au large alors qu’il aurait du être remorqué dans un port refuge.

Me Pierre Santi, avocat de plusieurs communes du littoral français touchées, notamment au Pays basque français (sud-ouest) a salué « une très bonne nouvelle », tout en restant prudent sur les indemnités.

« La Cour suprême espagnole a donné un cadre général pour la fixation des indemnisations, il va falloir voir concrètement ce que l’on peut obtenir », a-t-il dit à l’AFP.

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