La serre d’un demi-hectare ouverte l’an dernier par les « Nouvelles Fermes » à Mérignac, dans l’ouest de l’agglomération, est cinq fois plus étendue que la première construite par cette société en 2019 à Lormont, au nord-est de la capitale girondine.
Les cofondateurs visent encore plus grand: installer d’ici à cinq ans des exploitations de plusieurs hectares autour des grandes villes du pays pour produire à des tarifs compétitifs, y compris avec l’agriculture conventionnelle, grâce à cette technique millénaire.
« On essaye de recréer du lien entre l’urbain et l’agriculture. +L’agri-bashing+ est lié à une incompréhension d’un monde qu’on ne côtoie plus vraiment », estime Thomas Boisserie, l’un des cinq créateurs des Nouvelles Fermes.
Combinant dans un circuit fermé aquaculture, ici un élevage de truites, et hydroponie, mode de production où les racines des cultures trempent directement dans l’eau, la ferme aquaponique consomme, selon eux, dix fois moins d’eau et quatre fois moins d’énergie qu’une exploitation conventionnelle à rendement équivalent.
Des chiffres « cohérents », estime Laurent Labbé, ingénieur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), pour qui « ces gains, qui dépendent aussi du modèle d’aquaculture, peuvent encore être améliorés » en perfectionnant le procédé de production.
Les premières traces de ce modèle remontent aux Aztèques et à certaines rizières de Chine il y a 1.700 ans.
Mais c’est de Brooklyn, un des arrondissements de New York, qu’est venue l’inspiration bordelaise : une serre de 1.500m2 sur le toit d’un supermarché, dont elle récupère la chaleur fatale pour produire une partie des fruits et légumes vendus dans le magasin.
– « Vertueux » –
L’installation américaine utilisant des intrants chimiques, « nous sommes tombés sur l’aquaponie en cherchant un modèle plus vertueux », raconte Thomas Boisserie.
La truite a été choisie car c’est le poisson d’eau douce le plus consommé en France (donnée 2020) selon FranceAgriMer.
L’alevinage, trop contraignant, est confié à un partenaire en Normandie. « Les poissons arrivent ici à 300 grammes et ils restent 10 mois pour atteindre 2,5 kilogrammes avant d’être tués », détaille cet ancien salarié d’une ONG spécialisée dans la reforestation.
Le procédé d’aquaponie repose sur un cycle naturel : des bactéries digèrent ici l’ammoniac présent dans les déjections des truites pour alimenter en nutriments les légumes produits, qui filtrent en retour l’eau pour la rendre aux poissons.
Quant au choix des cultures, si techniquement tout peut pousser en hydroponie, « tout n’est pas rentable », explique Thomas Boisserie, soulignant l’environnement « chaud et humide » de la serre qui favorise « le développement de champignons parasites comme le mildiou, l’oïdium ou le bremia ».
Après avoir testé « plus de 300 variétés », l’exploitation s’est principalement tournée vers les salades et les aromates, produisant aujourd’hui « 1% des besoins de Bordeaux Métropole en salade et 4% des besoins en truite ».
Soixante tonnes de légumes et 12 tonnes de truites sortent chaque année de la ferme de Mérignac, livrées dans un rayon maximum de 20 kilomètres.
La ferme s’interdit l’utilisation de pesticides et d’intrants chimiques mais ne peut cependant bénéficier du label « agriculture biologique », réservé aux cultures en terre.
C’est là le principal frein, selon Laurent Labbé: le principe est de faire vivre plantes, bactéries et poissons dans un même environnement mais ceux-ci ont des besoins différents pour optimiser leur rendement. « Il faudra donc toujours faire des compromis, qui réduisent la production et font monter les prix de vente à des niveaux difficiles à justifier sans label bio. »
Mais les créateurs des Nouvelles Fermes restent persuadés que « l’aquaponie fera partie du mix de l’agriculture de demain ».