Comme les pêcheurs du cru, la vie et la carrière de ce brasseur de 50 ans ont été bouleversées par le tsunami du 11 mars 2011, qui l’avait obligé à évacuer dans l’urgence avec sa famille, en laissant tout derrière lui.
Le raz-de-marée avait tout détruit à Ukedo (nord-est du Japon), petit port de pêche de la ville de Namie, y compris la brasserie de saké Iwaki Kotobuki que la famille de M. Suzuki exploitait depuis deux siècles.
Or, cet alcool de riz faisait la fierté des pêcheurs locaux, qui avaient coutume d’en recevoir des bouteilles comme récompense quand ils revenaient avec leurs filets remplis de poissons.
« Le saké a toujours été là, comme le poisson », selon un pêcheur taciturne d’Ukedo interrogé par l’AFP mais qui n’a pas souhaité donner son nom. « Cela a toujours été comme ça ici depuis que j’étais petit ».
– La quête du goût d’antan –
Le tsunami de 2011 a aussi provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. A cause des risques liés aux radiations, Daisuke Suzuki n’a pas pu revenir pendant un an à Ukedo, qui se trouve à moins de dix kilomètres au nord de la centrale dévastée.
« Je n’avais plus rien et je ne pouvais imaginer comment j’allais recommencer à produire mon saké », se remémore M. Suzuki en marchant près du site de sa brasserie disparue à Ukedo, où s’élève désormais une digue géante contre les raz-de-marée.
Mais il a repris courage quand un laboratoire de recherche lui a rappelé qu’il conservait des échantillons du démarreur de fermentation (« shubo ») d’Iwaki Kotobuki, la matrice indispensable pour ressusciter ce saké.
Six mois après le tsunami, M. Suzuki refondait ainsi une brasserie dans le département voisin de Yamagata.
Il lui a toutefois été difficile de recréer d’emblée le goût original d’Iwaki Kotobuki: car le saké dépend d’un équilibre subtil entre la qualité de l’eau, du riz et de l’environnement, et celui de la brasserie d’Ukedo avait été élaboré par ses aïeux sur plusieurs générations.
C’est en laissant vieillir pendant plusieurs mois son saké qu’il a finalement retrouvé son goût d’origine. A ce moment-là, « j’ai réellement eu l’impression que j’étais sauvé », raconte le brasseur.
– « La fierté de la ville » –
Avec son frère, M. Suzuki gère désormais deux brasseries: celle de Yamagata et une nouvelle qu’il a implantée tout près d’Ukedo en 2021.
Cette année-là, les pêcheurs de Fukushima ont été autorisés à remettre en vente leurs produits, mais à petite échelle, et ils luttent toujours pour regagner la confiance des consommateurs, au Japon comme à l’étranger.
Et le lancement fin août du rejet dans l’océan Pacifique de l’eau accumulée sur le site de la centrale nucléaire dévastée a porté un coup supplémentaire aux pêcheurs locaux, même si les autorités japonaises et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) assurent que ce processus est sans danger pour l’environnement et la santé humaine.
Dès le lancement de cette opération, la Chine a décidé de suspendre toutes ses importations de produits de la mer japonais, un nouveau coup dur pour les pêcheurs de Fukushima.
Mais Daisuke Suzuki est déterminé à affronter cette nouvelle tempête avec les pêcheurs locaux, comme les précédentes.
« Sans le poisson d’Ukedo, il manquerait quelque chose à notre saké », explique-t-il à l’AFP. Le poisson local à la chair blanche « est comme l’amant de notre saké » car leurs goûts respectifs s’épousent parfaitement, ajoute-t-il.
L’énergique brasseur a lancé cette année une nouvelle gamme d’Iwaki Kotobuki, spécialement conçue avec l’aide d’un système d’intelligence artificielle pour s’associer à huit différents produits de la mer de Fukushima, comme des palourdes, des poissons plats ou du crabe.
« La renaissance de la brasserie de saké est la fierté de la ville », déclare à l’AFP Yasushi Niitsuma, 64 ans, propriétaire d’un bar-restaurant près du port.
« Le saké est la tradition de la ville et M. Suzuki contribue à la perpétuer, ajoute-t-il. Et ça encourage les pêcheurs à continuer de pêcher ».