Au milieu de ses champs de cannes, à Saint-Louis, dans le sud de l’île, Vincent Lebeau observe les fumées de la centrale thermique de l’usine du Gol, où il amènera bientôt sa production. Mais cette nouvelle campagne sucrière laisse un goût amer.
« On a perdu environ 50 tonnes de cannes à cause du cyclone Garance » qui a dévasté l’île fin février, évalue le producteur, qui livre chaque année environ 600 tonnes au géant industriel Tereos.
A Saint-Benoît, dans l’Est particulièrement touché par le cyclone, Sarah Salah-Aly déplore elle « 50 % de perte » sur ses 46 hectares. « Toutes les cannes en croissance ont été courbées, cassées. On a déjà subi un cyclone l’an dernier suivi d’une forte sécheresse », déplore la productrice, présidente de la commission des agricultrices du syndicat FDSEA.
En 2024, à peine 1,2 million de tonnes ont été récoltés. Loin de l’objectif de 1,9 million fixé par le plan de relance de 2023 visant à revitaliser une filière qui génère 15.000 emplois directs et indirects.
Selon les prévisions, cette année, la récolte pourrait avoisiner 730.000 tonnes. Une situation qui a des conséquences sur toute la filière « canne-sucre-rhum-énergie ».
Les résidus de canne à sucre permettent en effet de produire de la bagasse, utilisée pour produire de l’électricité. Et le raffinage du sucre permet d’extraire de la mélasse, un sirop dense et visqueux, utilisé dans les distilleries pour produire du rhum.
– 50% de mélasse en moins –
Cette année, les producteurs de rhum devraient donc souffrir d’un manque de matière première locale.
« En moyenne, nous avons besoin de 60.000 tonnes de mélasse pour les quatre distilleries du territoire – Rivière du Mât, Savanna, Isautier et Payet & Rivière. Cette année, il nous manquera environ 50% de mélasse pour couvrir l’ensemble de nos marchés », déplore Teddy Boyer, président du syndicat des producteurs de rhum.
Chaque année, la filière produit environ 120.000 hectolitres d’alcool pur (HAP) pour le marché local et l’export. « 85% de notre production est distribué en métropole », souligne Teddy Boyer, qui dirige par ailleurs la distillerie Rivière du Mât, la plus importante de l’île. Le reste est consommé localement.
« Cette année, nous aurons assez de matière première pour produire 3,5 millions de litres d’alcool pur (HAP), contre 7 millions habituellement », selon lui.
L’enjeu est donc de trouver une solution pour fournir le rhum léger, destiné au secteur agroalimentaire, afin « de ne pas perdre les clients », sur un marché « ultra concurrentiel ».
Pour produire en quantité suffisante, les distilleries réunionnaises envisagent donc d’importer de la mélasse. Mais « la matière est beaucoup plus onéreuse lorsqu’elle est importée », relève Teddy Boyer, qui se fournit dans l’océan Indien.
A La Réunion, la situation n’est pas nouvelle.
Entre 2019 et 2024, les quantités de mélasse ont déjà diminué de 25%. « Avant, on produisait du bioéthanol. Depuis 2020, ce n’est plus possible, pour préserver la production de rhum », poursuit Teddy Boyer.
Ce contexte pousse « de plus en plus de producteurs à se tourner vers d’autres cultures ». Ils souffrent de « la hausse du prix des intrants, des difficultés de recrutement et de l’inflation », énumère Dominique Clain, président de l’Union des producteurs de la nouvelle agriculture (UPNA).
Entre 2019 et 2023, les surfaces agricoles dédiées à la canne à sucre ont ainsi diminué de 10%, sur un territoire qui leur consacre 55% de ses champs.
Ce vendredi, les Etats généraux de la canne ont réuni près de 400 professionnels de la canne à sucre mais aussi le préfet de la Réunion, Patrice Latron, et les dirigeants des principales collectivités.
Pour « sauver la filière », a été signé un accord visant notamment à accompagner la mécanisation de la coupe et à sécuriser les revenus des planteurs et des industriels.
En parallèle, le préfecture de La Réunion va verser 15 millions d’euros pour le secteur agricole. 12 millions d’euros sont alloués aux planteurs et agriculteurs, les 3 millions restants seront pour les producteurs de vanille et de fruits.
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