« Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on était dans un marché orienté par l’offre. C’était l’offre ou la météo qui alimentaient les hausses. Mais ces hausses n’ont pas duré parce qu’elles n’étaient pas tirées par la demande », analyse Michael Zuzolo, de Global Commodity Analytics and Consulting.
Le 30 août, le cours du blé tendre américain de variété SRW (Soft Red Winter Wheat) est tombé à son plus bas niveau depuis décembre 2020, suivi le lendemain par le maïs. Sur le marché européen, le blé tendre a encore fléchi, clôturant mardi à 217,25 euros la tonne sur l’échéance la plus proche, son niveau de mi-octobre 2021.
« Le blé est toujours à la recherche d’un plancher », estime l’analyste, relevant que les bombardements du week-end sur des terminaux fluviaux en Ukraine n’ont « rien changé à la dynamique du marché ».
« Quand je parle à des clients, ils me disent: on a bien assez de blé, non ? Mais ce n’est pas le cas. Le rapport entre la consommation et les stocks est au plus bas depuis neuf ans », souligne-t-il.
De la Bourse de Chicago à Euronext, les courtiers constatent la difficulté des opérateurs américains ou européens à trouver leur place dans un marché dominé par l’offre de céréales de la mer Noire.
Le cabinet SovEcon vient de rehausser ses estimations d’exportation de la Russie pour 2023-24, avec 60,7 millions de tonnes de céréales, dont 48,6 MT de blé, en hausse de près de 4% par rapport à la campagne précédente.
Et « l’Ukraine continue à exporter », avec une capacité mensuelle estimée à environ 2,5 millions de tonnes par la voie fluviale et à environ 1 MT par la route et le rail, souligne Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage.
– « Rien n’a changé » –
Ces prix bas, à l’avantage des pays importateurs, vont-ils durer? Le courtier décrit des « marchés hésitants, en attendant les récoltes de l’hémisphère Sud »: des moissons affectées par les sécheresses aux Etats-Unis, en Australie ou en Argentine pourraient apporter du soutien aux cours.
Pour Jake Hanley, de Teucrium Trading, « il ne semble pas que les opérateurs soient prêts à faire monter les prix sur des spéculations concernant d’éventuels problèmes d’offres. Aujourd’hui, on veut voir » avant d’acheter.
« Ces dernières semaines, on a vu des ports bombardés sur le Danube et des attaques de navires par des drones mais les prix ne réagissent pas. Le marché nous dit, la violence, c’est une chose, mais les grains continuent à sortir », insiste-t-il.
De fait, le marché n’a pas non plus réagi à la rencontre lundi entre les présidents russe et turc, Vladimir Poutine se disant à nouveau prêt à « envisager la possibilité de ressusciter l’accord » sur les exportations de céréales ukrainiennes – qui a pris fin mi-juillet après avoir permis de sortir près de 33 MT de produits agricoles d’Ukraine en un an – si les exportations russes étaient elles-mêmes facilitées.
Cette rencontre « n’a rien changé », a estimé Gautier Le Molgat, du cabinet Agrital (groupe Argus Media). « Le blé russe domine toujours les échanges même si le blé européen a regagné en compétitivité » en baissant ses prix et du fait du léger reflux de l’euro face au dollar, note-t-il.
La France et la Roumanie sont ainsi récemment parvenues à remporter un appel d’offre égyptien pour 120.000 tonnes de blé chacune, mais des pays comme l’Algérie ou le Maroc, traditionnels clients de la France et de l’Europe de l’Ouest, se tournent de plus en plus vers la Russie.
Quant au blé américain, il « ne se vendra pas tant que tous les autres n’auront pas éclusé leur production », prédit Michael Zuzolo, estimant « difficile de se faire une idée précise de la demande chinoise », qui peut peser lourd sur le marché.
L’inconnue est notamment de mise concernant son cheptel porcin – et donc ses besoins en grains pour l’alimenter – et la qualité de sa récolte en blé, affectée par les aléas climatiques en fin de récolte.