Devant le local qui lui sert à entreposer ses gousses de vanille, Daouirou Saka attend la petite dizaine de stagiaires qui viennent lui prêter main forte. Le temps pour lui de peser sa marchandise et de contempler ses nouvelles étiquettes floquées « Agriculture biologique ».
Daouirou Saka fait partie des 41 agriculteurs nouvellement certifiés bio dans le 101e département français. Sur l’île, l’Etablissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam) tente de structurer la filière depuis 2019. L’occasion pour le producteur de vanille – qui cultive également du manioc et des bananes, à côté de son élevage de volailles et bovins – de « mieux valoriser ses produits ».
Selon l’Insee, en 2023, le revenu moyen mensuel des agriculteurs à Mayotte était de 700 euros. Daouirou Saka, installé à Poroani, dans le sud de l’île, confie, lui, « gagner confortablement sa vie ». Notamment grâce à la vanille, vendue entre 750 et 1.000 euros le kilo. Certifié bio en février dernier, l’agriculteur exploite 4 hectares de parcelles depuis 2014. Des terres qui appartenaient auparavant à son grand-père, puis à son père.
– « Forte défiance » –
L’Efpam s’est donné cette mission de structuration de la filière bio afin de répondre « à la forte demande de la population en produits bio », souligne Calvin Picker, conseiller pour le développement de l’agriculture biologique au sein de cet organisme.
« Il y a une forte défiance de la population concernant les produits maraîchers », assure-t-il. Notamment depuis la publication des analyses de la Direction de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (Daaf) qui constatait des taux de pesticides 27 fois supérieurs à la norme sur certaines tomates en 2017.
Depuis, les pratiques n’auraient pas beaucoup changé. « Nous avons récemment découvert des sachets de pesticides sur certaines exploitations, dont certains sont interdits depuis 1996 », déplore Calvin Picker, pour qui l’objectif est désormais de rattraper le retard du territoire, en augmentant la production d’aliments certifiés bio.
Un retard qui s’explique surtout par une départementalisation récente et une agriculture différente. « On recense beaucoup d’exploitations familiales, la commercialisation des produits se fait de manière informelle, dans un cercle restreint. Il y a peu de traçabilité et de factures », détaille le conseiller. Selon l’Insee, deux tiers des échanges économiques sont informels à Mayotte, où l’économie repose principalement sur l’agriculture et la pêche.
– Semences « non traitées » –
Pour accélérer les certifications, et régulariser dans le même temps un certain nombre d’exploitations, l’Epfam tente de faire reconnaître le « jardin mahorais » – mode d’agriculture le plus répandu sur le territoire, qui consiste à mélanger les cultures – comme système agroforestier auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité. « La période de conversion pour une exploitation classique est très longue, il faut compter trois ans. En agroforesterie (association d’arbres et de cultures sur une même parcelle, NDLR), les parcelles peuvent passer directement en bio. »
En parallèle, l’établissement public travaille sur les semences bio. Un sujet de blocage pour le maraîchage qui doit obligatoirement utiliser des semences certifiées, peu disponibles sur le territoire car peu adaptées aux conditions de cultures tropicales, avec des pertes de rendement importantes.
« L’objectif est donc de pouvoir travailler avec des semences qui ne sont pas bio mais non traitées, pour les tomates, les courgettes ou les haricots par exemple », explique Calvin Picker qui souhaite également qu’un auditeur s’installe durablement sur le territoire.
« Les personnes habilitées à certifier une exploitation viennent de La Réunion ou de métropole, ce qui allonge considérablement les délais. Nous avons trouvé un auditeur à Mayotte en 2023 mais l’objectif est de pérenniser son installation », précise-t-il.
Grâce à ces démarches, l’ambition de l’Epfam est de certifier environ 30 nouveaux agriculteurs chaque année. Et d’en compter 60 d’ici fin 2024.