A Saint-Malo, les pêcheurs ne croient plus à une solution venue de Bruxelles

Saint-Malo, 10 déc 2021 (AFP) – « On veut discuter en direct avec Jersey »: vendredi, au port de Saint-Malo, pêcheurs, armateurs et représentants de la filière affichaient leur scepticisme sur la possibilité d’un accord rapide entre l’UE et Londres pour pêcher dans les eaux de Jersey.

Le long des quais de Saint-Malo, d’où l’on aperçoit la ville intra-muros et la flèche de la cathédrale Saint-Vincent, des pêcheurs s’activent, malgré une météo exécrable. Mais certains comme Pierre Vogel ne peuvent prendre la mer.

« On a commencé en octobre 2020 en achetant un bateau qui avait la licence des anglo-normandes, tout de passait bien jusqu’au 1er novembre, on nous a retiré la licence », pour des raisons de données de géolocalisation, peste le jeune marin, qui pratique la pêche artisanale à la coquille Saint-Jacques.

L’endroit où son petit bateau de 7 m se rend habituellement, les Minquiers, à environ une heure au nord de Saint-Malo, est juste dans la zone de Jersey et lui est interdit.

« Tout doit passer par Bruxelles mais c’est un fiasco. Ce soir, rien ne va changer et ils vont nous pondre une nouvelle date », prophétise-t-il.

La Commission européenne et Londres ont réaffirmé leur volonté de parvenir à un accord ce vendredi sur les licences de pêche post-Brexit réclamées par la France, qui menace d’aller au contentieux en cas de nouvel échec.

Mais Alain Laurenti, un important armateur malouin possédant aussi un bateau « qui n’est pas dans la bonne case », ne croit plus à une solution venue de Bruxelles.

« On veut une réunion avec nos homologues anglais pour discuter, en passant par la commission européenne ça prendra plus de temps et ce sera plus complexe. En discutant avec eux, de gré à gré, on devrait s’entendre », croit-il.

Pendant des décennies, Bretons, Normands, pêcheurs de Jersey et Guernesey ont travaillé en bonne intelligence, assure-t-il.

Pour lui, la vraie date-butoir est le 31 décembre, « avec des arrêtés ministériels qui gèrent l’accès baie de Granville qui se terminent ».

— « on va se faire broyer » —

En outre, les armateurs et pêcheurs estiment que les problèmes ne se limitent pas qu’à la question de l’attribution des licences mais aussi à la problématique des quotas et des mesures techniques sur la pratique de la pêche dans les eaux anglo-normandes.

« On n’a aucune visibilité, aujourd’hui j’ai un bateau que je voudrais remplacer, je ne peux pas. Je souhaite passer à un autre bateau en propulsion hydrogène ou hybride pour la transition écologique, pour vivre avec son temps. Tout ça est remis en cause », soupire l’armateur Loïc Escoffier, qui avait prévu de débourser 1,5 million d’euros pour un nouveau bateau.

« On ne peut pas remplacer nos navires car la réglementation de Jersey, de l’Angleterre, nous stipule que les bateaux actuels ne peuvent pas être remplacés. A long terme, ils ne veulent plus de bateaux français dans les zones de Jersey », ajoute-t-il, se disant « écoeuré », en attendant le retour au port d’un de ses bateaux.

A côté du lycée maritime Florence Arthaud de Saint-Malo, où des apprentis matelots sont formés, le président du comité régional des pêches d’Ille-et-Vilaine montre une carte maritime pour comprendre la complexité du problème.

« Si on ne travaille pas avec Jersey sur les mesures techniques, les jours de pêche, les quotas, on va se faire broyer ! C’est pas le tout d’avoir une liste de bateaux qui va rentrer là-dedans », explique Pascal Lecler.

« On veut demander une délégation à la commission européenne pour reprendre la main et discuter en direct avec Jersey, tant que c’est la commission européenne qui aura la main on n’arrivera à rien », lâche-t-il.

En cas de nouvel échec, prévient-il, les marins bretons pourraient laisser éclater « leur colère », avec des actions coups de poing, comme le blocage des ports.

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