Dans une décision très attendue, la plus haute juridiction judiciaire a rejeté deux pourvois formés l’un par le comité anti-amiante de Jussieu et la CFDT, l’autre par l’Association régionale de défense des victimes de l’amiante (Ardeva) du Nord-Pas-de-Calais pour contester l’annulation des mises en examen de plusieurs décideurs publics.
Industriels, scientifiques ou hauts fonctionnaires: neuf responsables publics, dont l’un est décédé depuis, avaient été mis en examen entre fin 2011 et début 2012. Tous furent impliqués entre 1982 et 1995 dans le Comité permanent amiante (CPA), accusé par les parties civiles d’être le lobby des industriels et le promoteur de « l’usage contrôlé » de l’amiante pour en retarder au maximum l’interdiction, intervenue en France en 1997.
A deux reprises, en juillet 2014 puis en juillet 2017, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait annulé la mise en examen de ces huit protagonistes. Les parties civiles s’étaient alors tournées vers la Cour de cassation, espérant obtenir un procès pénal dans ces instructions vieilles de 22 ans, les seules qui portent encore sur des responsabilités nationales.
Selon l’arrêt « Jussieu », consulté par l’AFP, la Cour de cassation a considéré mardi qu’il n’existait pas « d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable » leur participation « aux délits de blessures et d’homicides involontaires ».
Suivant la logique de la cour d’appel, elle soulève « d’une part (…) l’absence de faute caractérisée susceptible de leur être reprochée du fait de leurs fonctions respectives et/ou de leur participation aux activités du CPA » et « d’autre part », le fait qu’ils n’aient pu « dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel ils auraient exposé les victimes ».
Si cette décision sonne comme un nouveau revers pour les parties civiles qui ont mené ces derniers mois une âpre bataille procédurale marquée par le dépôt de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) – sans succès – et plusieurs reports d’audience, « le combat n’est pas terminé », a assuré Michel Parigot, président du comité anti-amiante de Jussieu.
– Jussieu, dossier leader de la lutte –
« Il s’agit d’une décision qui pose des difficultés de procédure et qui sera donc soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) », a commenté auprès de l’AFP Guillaume Hannotin, avocat de l’Ardeva et du Comité anti-amiante de Jussieu.
« Cette décision ne met pas fin au dossier puisque celui-ci est fait de chair et d’os: chaque jour, l’amiante cause de nouveaux décès, ces morts sont autant de faits nouveaux qui seront jugés », a-t-il poursuivi.
Au contraire pour Jean-Philippe Duhamel, avocat de Patrick Brochard, pneumologue et membre à l’époque du Comité permanent amiante, cette étape judiciaire « met un terme définitif aux allégations de responsabilités pénales des membres du CPA ».
La défense des mis en examen s’appuie notamment sur une décision de 2015 de la Cour de cassation dans le dossier de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados).
Estimant qu’aucune négligence ne pouvait leur être reprochée, la haute juridiction avait définitivement mis hors de cause huit personnes, dont l’ex-ministre Martine Aubry, un temps poursuivie pour son rôle entre 1984 et 1987 au ministère du Travail en tant que directrice des relations du travail.
Après plus de deux décennies d’investigations, la vingtaine de dossiers de l’amiante, actuellement instruits au pôle santé publique du tribunal de Paris, risquent d’aboutir à des non-lieux dans les prochains mois.
En juin 2017, les juges d’instruction ont estimé qu’il était impossible de déterminer avec certitude la date d’intoxication d’un malade exposé à la fibre cancérogène, un flou qui ne leur permettait pas d’ordonner un renvoi devant les juridictions pénales.
De toutes les enquêtes sur ce scandale sanitaire, celle sur Jussieu est une des plus emblématiques: c’est de cette faculté parisienne qu’était partie la première grande mobilisation anti-amiante dans les années 1970.
En 2012, les autorités sanitaires estimaient que l’amiante pourrait provoquer d’ici à 2025 3.000 décès chaque année causés par des cancers de la plèvre ou des cancers broncho-pulmonaires.