« Il s’agissait des deux dossiers où sont encore instruites les responsabilités nationales (…), les autres ne concernent que les directeurs d’usine qui n’ont pas respecté la réglementation », ont relevé trois associations de victimes, dénonçant « l’inexplicable parti pris de la justice pour les empoisonneurs ». Ils ont annoncé un nouveau pourvoi en cassation.
Le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, estime, lui, qu’il s’agit d' »un mauvais signal pour les futurs scandales sanitaires qui risquent d’advenir si aucune responsabilité pénale ne peut être retenue ».
Industriels, scientifiques ou hauts fonctionnaires, neuf responsables publics avaient été mis en examen entre fin 2011 et début 2012 pour homicides et blessures involontaires.
Tous avaient été impliqués entre 1982 et 1995 dans le Comité permanent amiante (CPA, dissous dans les années 90), accusé par les parties civiles d’être le lobby des industriels et le promoteur de « l’usage contrôlé » de l’amiante pour en retarder au maximum l’interdiction, intervenue en France en 1997.
Pour motiver l’abandon des poursuites, la cour a développé trois arguments, selon une source proche du dossier. Ces responsables n’ont pas commis de fautes car, à l’époque, « l’usage contrôlé » de la fibre était admis dans l’ensemble des Etats européens. Ils ne pouvaient avoir une connaissance exacte des dangers de l’amiante, les avancées scientifiques étant en constante évolution. Enfin, ils ne disposaient pas d’un pouvoir décisionnaire.
Ainsi, pour Jean-François Girard, directeur général de la santé de 1986 à 1997, la chambre a jugé que la problématique de Jussieu « mettait en jeu des questions d’ordre budgétaire et logistique qui échappaient totalement à ses champs de compétence ».
Ces responsables avaient obtenu une première annulation de leur mise en examen par la cour d’appel de Paris en juillet 2014, une décision invalidée en avril 2015 par la Cour de cassation.
Pour Michel Ledoux, avocat de plusieurs centaines de victimes, plus de 20 ans après les premières plaintes « il est tout simplement scandaleux que cette affaire se termine par la mise hors de cause de tous ceux qui étaient chargés du système de veille sanitaire ».
– Non-lieu général? –
« Personne ne conteste la souffrance des victimes. Mais ce n’est pas sur elle que se fonde le droit pénal, mais sur des infractions, absentes dans ces dossiers », a affirmé de son côté Benoît Chabert, avocat de Jean-Louis Pasquier, ex-responsable du bureau risques chimiques professionnels au ministère du Travail.
Il s’appuie sur une décision de 2015 de la Cour de cassation dans l’affaire de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados). Estimant qu’aucune négligence ne pouvait leur être reprochée, la haute juridiction avait définitivement mis hors de cause huit personnes, dont l’ex-ministre Martine Aubry, un temps poursuivie pour son rôle entre 1984 et 1987 au ministère du Travail en tant que directrice des relations du travail.
De toutes les enquêtes sur le drame de l’amiante, celle sur Jussieu est une des plus emblématiques: c’est de ce campus qu’était partie la première grande mobilisation anti-amiante dans les années 1970.
Cette décision est donc un revers de taille pour les victimes. La vingtaine de dossiers en cours au pôle santé de Paris risque d’aboutir à des non-lieux.
D’autant qu’en juin les juges d’instruction ont estimé qu’il était impossible de déterminer avec certitude la date d’intoxication d’un malade exposé à la fibre cancérogène, un flou qui ne leur permettait pas de demander un renvoi devant les juridictions pénales. Suivant cet avis, le parquet a requis la fin des investigations.
« Les malades ont été dédommagés au civil, mais l’affaire de l’amiante ne peut être traitée par la justice comme une catastrophe naturelle: il y a clairement eu des fautes », a souligné François Desriaux, vice-président d’Andeva, l’association nationale de défense des victimes de l’amiante.
Selon les autorités, qui imputent à l’amiante 10 à 20% des cancers du poumon, l’exposition à la fibre pourrait provoquer jusqu’à 100.000 décès d’ici à 2025.