« Il faut absolument qu’on l’évacue des champs », explique-t-il en sortant de son énorme pick-up. Mais, pour une seconde année de suite, le manque d’eau dans le Mississippi a freiné drastiquement le transport fluvial, entraînant surcoûts et graves contrariétés pour les agriculteurs du centre des Etats-Unis.
Jonathan Driver cultive aussi du riz, stocké dans ses trois grands silos de tôle grise. Mais la récolte de soja ne s’arrête pas, et les barges qui d’habitude recevaient sa production manquent terriblement, retardant les exportations de protéines végétales qui, via le Golfe du Mexique, iront nourrir le bétail du monde entier.
Il va donc se débarrasser le plus rapidement de son riz — même si ce n’est pas « au prix que je voudrais », dit-il — pour faire rentrer le soja (ou le maïs) qu’il a déjà sur les bras. Et, dans ses champs, ces petites graines jaunes commencent déjà à tomber au sol, perdues pour la récolte.
Le temps presse.
– Prix mondiaux en berne –
« Chaque jour où les graines sortent (de leur enveloppe), tu perds 3.000 dollars. J’ai pas 3.000 dollars par jour à perdre », résume Jonathan Driver, fine barbe et casquette sur le crâne. Dans le hangar derrière lui, deux techniciens s’emploient à réparer une moissonneuse-batteuse.
Le père de l’exploitant, dans les champs cet après-midi-là, en conduit une autre. Sa femme aussi lui donne un coup de main.
Derrière ses machines agricoles, un long et épais boudin blanc traverse un champ. C’est un énorme sac rempli de soja. Cette autre solution de stockage permet de voir venir, un retour à la normale sur le fleuve n’étant pas prévu de sitôt. « Nous pourrions devoir attendre jusqu’à l’année prochaine » pour enfin les vendre, s’inquiète-t-il.
Mais cette alternative pourrait s’avérer risquée. Après des récoltes mondiales massives cette année, le prix du soja comme du maïs est faible, et l’accumulation de réserves aux Etats-Unis due aux difficultés sur le Mississippi tire encore à la baisse le prix pour les prochains mois, au dépens des marges des agriculteurs américains.
– « Le fleuve va revenir » –
Les alternatives de transport, par rail ou camion, sont bien plus chères et émettent davantage de CO2. Et chez les agriculteurs locaux, le Mississippi revêt également un attachement affectif.
Depuis toujours, « tout part sur le fleuve, direction le Golfe » du Mexique, raconte Jimmy Moody, qui travaille des terres héritées de son grand-père, de l’autre côté des rives, dans le Tennessee.
Cette année, le volume de céréales transportées sur le Mississippi a chuté de moitié par rapport à la moyenne des trois dernières années, selon le ministère américain de l’Agriculture.
Comme Jonathan Driver, il a choisi de mettre son soja dans ces immenses sacs, malgré les risques de ce stockage en extérieur: le prix qui lui était proposé à la vente lorsqu’il a récolté ces grains était bien plus faible qu’un contrat pour plus tard, quand le fleuve serait plus facilement navigable.
« Je n’ai pas à m’inquiéter, le fleuve va revenir » à ses niveaux habituels, lance-t-il
Avec 71 ans de vie sur les berges du Mississippi, Jimmy Moody en a vu d’autres. « On enverra des céréales vers le Golfe bien après que je ne sois plus là ».