L’Est, qui regroupe les Etats de la mer Rouge, de Kessala et de Gedaref, est une zone stratégique à de nombreux niveaux.
Il borde l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie et compte 714 kilomètres de littoral où se trouvent les principaux terminaux maritimes et pétroliers du pays.
En outre, c’est là que se trouvent les montagnes d’or du Soudan, cinq fleuves et plus de trois millions et demi d’hectares agricoles.
Autant d’infrastructures et de ressources cruciales pour un pays dont l’économie à genoux peine à se relever des 30 ans de règne de l’autocrate Omar el-Béchir, renversé en 2019.
– Crise ancienne –
Pourtant, le taux de pauvreté y est de 54%, selon les statistiques officielles, contre 36% au niveau national.
Pour le commentateur politique Amir Babiker, « la crise est très ancienne car depuis l’indépendance » du Soudan — sous protectorat britannique jusqu’en 1956 –, « la région est marginalisée sur les plans politique et économique ».
Mais en octobre 2020, explique-t-il à l’AFP, « un accord l’a fait exploser de nouveau »: celui signé à Juba, la capitale du Soudan du Sud, entre le gouvernement de transition de Khartoum et cinq groupes rebelles d’autres régions, dont l’Est.
« Cet accord a créé une nouvelle crise », explique ainsi à l’AFP Sayed Abouamnah, qui avec des centaines de manifestants de l’Est bloque depuis une dizaine de jours routes, aéroport et docks de Port-Soudan, n’ayant concédé que le passage des pétroliers dans un port voisin pour permettre au Soudan du Sud d’exporter son or noir.
Ce leader des Beja, une des coalitions tribales les plus influentes de l’Est, estime en premier lieu que la délégation représentant l’Est à la signature de l’accord n’était pas inclusive.
« Les Beja (…) refusent d’être représentés par des gens qui n’ont rien à voir avec leur région », assure-t-il.
Pour M. Babiker aussi, le fait que la délégation envoyée à Juba « ne comprenait pas des membres de toutes les composantes de l’Est a envoyé un message négatif » aux habitants de la région.
M. Abouamnah estime par ailleurs que la délégation a fait trop de concessions à Khartoum, alors même que sa région « a toujours des revendications du fait de la négligence (de Khartoum) remontant à l’indépendance ».
Il déplore que l’Est voie transiter toutes les richesses du pays ou presque sans jamais en tirer les bénéfices.
« Notre région regorge de ressources naturelles, dont 60% de l’or du Soudan et les revenus portuaires, et pourtant elle est à l’abandon », confirme Oussama Saïd, qui a dirigé la délégation de l’Est lors de la signature de l’accord de Juba.
– Problème de représentativité –
Il ne partage cependant pas les critiques du dirigeant Beja quant à la délégation à Juba, et défend son bilan.
M. Saïd souligne que la présence d’une délégation de l’Est était déjà en soi une victoire. « Jusqu’ici, Khartoum considérait qu’il n’y avait aucun différend avec l’Est et donc rien à négocier », affirme-t-il à l’AFP.
« Faire reconnaître à l’Etat sa négligence et obtenir que 30% des recettes tirées de la région soient allouées à son budget propre représentent de véritables avancées », martèle-t-il.
Mais pour les Beja, un ensemble de tribus revendiquant une présence vieille de 7.000 ans sur ces terres et dotées de langues et de traditions qui les distinguent des autres Soudanais, la délégation aurait dû arracher plus à Khartoum.
Alors que l’accord de Juba prévoit la mise en place d’un Parlement et d’un gouvernement pour la région, ils réclament la révision de l’article 13 qui n’accorde dans ces instances que « 30% de la représentation législative et exécutive » à l’opposition, notamment le parti du Congrès Beja, le reste allant à des représentants du gouvernement de Khartoum.
En attendant, les Beja ont remis à Khartoum un cahier de doléances qu’ils espèrent bien voir satisfaites. Sous peine de continuer à bloquer le port, l’aéroport et les routes qui permettent au Soudan de recevoir et d’acheminer un import-export plus que précieux pour les 40 millions de Soudanais.