« C’est la merde », peste ce chirurgien anglo-algérien de 49 ans. Le 26 février, Hocine a quitté Londres avec sa femme et sa fille de 3 ans et à ce jour, aucun n’a encore atteint leur destination, Alger.
Sa famille fait partie d’un groupe de 25 Algériens en provenance de Grande-Bretagne et bloqués dans la zone internationale.
Les autorités algériennes refusent de les laisser embarquer sur un vol d’Air Algérie car depuis le 17 mars 2020, l’Algérie a officiellement suspendu ses liaisons aériennes et maritimes avec la France, décision étendue au reste du monde quelques jours plus tard.
A la fermeture des frontières, les autorités avaient bien organisé des vols de rapatriement pour leurs ressortissants, mais sous conditions. Et la récente émergence du variant anglais a encore compliqué la situation: les vols ont même été suspendus pour toute la durée de ce mois de mars.
« On avait complètement le droit de partir en Algérie, on a tout respecté », insiste Hocine, érigé en porte-parole des naufragés de Roissy qui, assure-t-il, disposent tous de tests Covid négatifs. Lui et sa femme sont même déjà vaccinés, comme en attestent leurs documents consultés par l’AFP.
– « Psychologiquement pas facile » –
Leur groupe se compose d’hommes seuls, de trois familles, dont une femme de 78 ans et deux jeunes enfants. Leur quotidien est rudimentaire: sieste à même la moquette au son des haut-parleurs de l’aéroport, toilette minimaliste dans les sanitaires et repas aléatoires grâce à des dons ou des bons remis par Aéroports de Paris, le gestionnaire des lieux.
« Chaque jour, il y a quelqu’un qui va craquer. Psychologiquement c’est vraiment pas facile », soupire Hocine, qui veut retourner en Algérie pour s’occuper de sa belle-mère récemment victime d’un AVC.
Les autorités algériennes leur avaient demandé de renoncer à leur voyage quelques jours avant le départ, selon deux sources proches du dossier. Mais lui et tous ses camarades d’infortune sont déterminés à regagner leur pays coûte que coûte, et refusent désormais de faire demi-tour.
Sollicité par l’AFP, le consulat de Créteil (région parisienne), chargé de leurs dossiers, n’a pas réagi.
Plusieurs millions d’Algériens de l’étranger doivent composer avec la fermeture des frontières. Même ceux qui vivent dans leur pays subissent les répercussions de cette mesure qui semble s’éterniser, alors même que le pays enregistre actuellement moins de 150 cas de contamination par jour.
« Je n’ai pas été présente aux côtés de ma fille pour son accouchement comme le veut la tradition », se lamente Ouahiba, 53 ans, qui se faisait une joie d’aller à Lille, en France. Depuis la Kabylie où elle réside, c’est à travers des vidéos qu’elle suit les premiers pas de son unique petit-enfant.
– « Liste VIP » –
A Alger, Zakaria ne sait pas quand il pourra retrouver en France celle qu’il a récemment épousée. « C’est terrible d’être séparé de la personne qu’on aime aussi longtemps sans savoir quand nous allons nous revoir », confie cet agent artistique de 27 ans.
En février, lors de son dernier grand discours à la Nation, le président Abdelmadjid Tebboune s’est félicité de sa stratégie de lutte contre le coronavirus, en référence notamment à la fermeture des frontières.
Cette stratégie n’a cependant pas empêché l’arrivée du variant anglais sur le territoire.
Ce qui fait dire à Samir Yahiaoui, un opposant algérien qui vit en France, que ce « blocage complet » obéit à des « raisons plus politiques que sanitaires » et provoque « un déchirement » dans les familles, notamment en cas de décès.
« C’est une exception algérienne qui est due évidemment au Hirak », le mouvement de contestation antirégime, affirme-t-il, en suggérant en outre que le pouvoir profite de cette crise sanitaire pour « faire sa purge ».
« Il y a des gens dans des situations kafkaïennes (…) des situations dignes des grands psychodrames », s’inquiète Omar Tibourtine, médecin algérien dans un hôpital parisien. « On se retrouve sous une cloche étanche pour une grande partie de la population. »
Une minorité de privilégiés semble échapper, elle, à ces mesures drastiques.
« Il existe une liste VIP où tu peux faire des allers-retours en Europe. Il faut connaître les bonnes personnes. C’est de la magouille mais c’est comme partout ailleurs », confie Merwan, un entrepreneur de 34 ans. Lui affirme avoir eu la possibilité de prendre l’avion pour passer Noël à Paris, qu’il a finalement déclinée.
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