Ces annonces du gouvernement, à l’issue d’une rencontre à l’Elysée vendredi entre le président Emmanuel Macron, les représentants des pêcheurs et les élus des régions concernées, clôturent onze mois d’une féroce bataille franco-britannique sur l’octroi de licences de pêches post-Brexit.
« Nous demanderons dans les prochains jours à la Commission européenne d’engager un contentieux, une procédure juridique pour les licences auxquelles nous avons droit, qui sont les plus prioritaires, les plus importantes », a déclaré le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune à l’issue de la rencontre.
Paris va aussi demander à Bruxelles « de réunir le Conseil de partenariat, qui est prévu par l’accord de Brexit quand il y a un problème – c’est une instance politique, on ne l’a jamais réuni pour l’instant -, pour dire aux Britanniques que c’est un problème européen, qu’ils ne respectent pas à 100% l’accord », a poursuivi Clément Beaune.
En vertu de l’accord signé fin 2020 entre Londres et Bruxelles, les pêcheurs européens peuvent continuer à travailler dans les eaux britanniques à condition de prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais depuis plus de onze mois, Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
Hors Méditerranée, environ un quart des prises françaises en volume (environ 20% en valeur) proviennent des eaux britanniques, très poissonneuses et qui sont à l’origine de 650 millions d’euros de ventes annuelles pour les pêcheurs de l’UE.
La ministre de la Mer Annick Girardin a précisé qu’il restait « 73 licences encore en attente », après l’obtention de plus d’un millier d’autorisations, promettant qu’un dialogue se poursuivrait avec Londres et les îles anglo-normande « pour tenter d’arracher » les dernières licences.
– « Baladés par les Britanniques » –
Mais prenant acte du fait que certains pêcheurs n’auront pas d’autorisation, les ministres ont officiellement ouvert une nouvelle page dans ce dossier: celle des indemnisations.
« Le président souhaite que sur le plan d’accompagnement des pêcheurs (qui n’auront pas eu de licences), nous soyons précis sur l’aide individuelle, et qu’on fasse du cousu main, cas par cas, bassin par bassin », a déclaré Annick Girardin, indiquant qu’un « Monsieur accompagnateur » serait « nommé dans la semaine qui vient ».
Chez les pêcheurs, l’amertume le disputait au soulagement de voir l’incertitude prendre fin.
Le contentieux ne permettra aucune solution à court terme, le processus pouvant s’éterniser pendant des mois. Mais il a le mérite de montrer la solidarité nationale et en premier lieu le soutien présidentiel à une filière qui représente, « de la mer à l’assiette », environ « 100.000 emplois » et pour la seule activité de pêche 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
« C’est une bonne chose. On se fait balader par les Britanniques et j’ai l’impression (avec le contentieux) qu’on monte au créneau. Si ça me permet d’avoir ma licence, tant mieux », a déclaré à l’AFP Pierre Vogel, pêcheur de coquilles à Saint-Malo.
Le patron de pêche normand Pascal Delacour, qui a lui obtenu sa licence de Jersey, n’a pas de mots assez durs pour « les politiciens » français qui n’ont pas été capables de tenir tête à Londres. Un avis partagé par le président LR des Hauts-de-France Xavier Bertrand, qui estime que « pour l’instant, Boris Johnson a gagné ».
« C’est un problème européen », ont martelé les ministres. Clément Beaune a souligné que l’UE devait maintenir une « pression politique » sur Londres, y compris pendant la présidence française qui démarre le 1er janvier.
Le président du Comité national des pêches, Gérard Romiti, veut désormais voir « utilisée au mieux la réserve d’ajustement du Brexit », dotée d’une centaine de millions pour la pêche, pour bâtir un « solide plan d’accompagnement », à la fois en terme d’indemnités mais aussi de formation et de soutien à la modernisation de la filière.
Les combats restent nombreux: après la question des licences, demeure celle des modalités de pêche (quotas, espèces, techniques…) qui sont en cours de discussion avec Londres.
Le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, plaide pour « la remise en place d’instances de cogestion locales », comme ce fut le cas pendant 20 ans pour la délivrance des droits de pêche dans la baie de Granville.