Un à un, les ouvriers saisissent les casiers d’huîtres et les expédient, dans une chorégraphie calculée, au fond des claires… Dans ces bassins d’argile qui se remplissent à marée montante, Henry Schaller et son équipe procèdent en cette fin novembre à l’immersion de plusieurs tonnes de coquillages arrivés à maturité.
Ces huîtres vont baigner pendant quelques semaines dans une eau moins salée et prendre leur goût particulier, plus doux, moins iodé.
Mais la phase d’affinage, caractéristique de l’Indication géographique protégée (IGP) locale, et la commercialisation seront désormais suspendues entre le début juin et la fin août. En raison de chaleurs devenues trop fortes, l’évaporation de l’eau des bassins concentre le sel, fragilise les coquillages et altère le goût des « fines de claires ».
Il va falloir « se remettre en question » en vendant l’été des huîtres de parc élevées dans l’Atlantique sans affinage, reconnaît Henry Schaller. Mais son exploitation située à Marennes, à l’embouchure de la Seudre, face à l’île d’Oléron, s’est déjà acclimatée.
Avant même cette réforme, « j’avais presque arrêté l’IGP l’été », raconte à l’AFP cet ostréiculteur de 37 ans, établi depuis 2010. « Les huîtres étaient devenues trop salées… On a un produit un peu affaibli, de moins bonne qualité. »
– Comme les coraux –
Comme d’autres bassins ostréicoles, les producteurs de Marennes Oléron, qui commercialisent chaque année environ 17.000 tonnes d’huîtres affinées (et 45.000 à 60.000 tonnes toutes qualités confondues), sont rattrapés par le changement climatique.
L’huître, animal qui ne peut pas réguler sa température interne, y est particulièrement sensible: au-delà de 32°C ce mollusque est en souffrance et certaines claires peuvent atteindre 35°C l’été.
« L’huître est davantage en première ligne que les mammifères marins ou les poissons », souligne Fabrice Pernet, chercheur en écophysiologie des organismes marins à l’Ifremer. « On peut s’inquiéter pour les huîtres comme on le fait pour les coraux, c’est le même genre de sensibilité. »
Outre l’augmentation de la température de surface des océans, qui a battu en juillet un record mondial à 20,96°C selon l’observatoire européen Copernicus, l’huître est également vulnérable aux maladies, à la baisse du taux d’oxygène dans l’eau ou à l’acidification des mers qui fragilise les coquilles.
« On a senti qu’il y avait une évolution du climat et que l’affinage ne pouvait plus s’opérer dans les mêmes conditions », résume Laurent Chiron, ostréiculteur et président du Groupement qualité des huîtres Marennes Oléron (GQHMO) qui gère l’IGP créée en 2009.
La modification du cahier des charges, initiée il y a plus de sept ans et déposée il y a un an et demi, doit entrer en vigueur après sa publication au journal officiel européen début 2024.
– Densité d’huîtres –
Le texte prévoit des densités d’huître par claire et des durées d’affinage plus flexibles. Auparavant, deux modes d’affinage saisonniers prévalaient, l’un estival, l’autre hivernal.
« Désormais, on dit à l’ostréiculteur: ce que tu ressens du climat te permettra d’affiner selon l’un ou l’autre des modes », se félicite Laurent Chiron.
Pour Philippe Morandeau, président du Comité régional conchylicole (CRC) de Poitou-Charentes, cette interruption de la commercialisation n’entraînera pas de baisse de recettes.
« Je ne crois pas que ça nuise à la marque ni aux entreprises qui fournissent de l’huître Marennes Oléron », dit-il, rappelant que les ventes se concentrent surtout pendant la période des fêtes de fin d’année.
Le GQHMO compte, lui, promouvoir d’autres produits pendant l’été, avec des démarches pour obtenir une reconnaissance en label rouge d’huîtres de pleine mer.
A l’avenir, d’autres bassins ostréicoles devront aussi s’adapter, note Fabrice Pernet, alors que l’aire de répartition de ce coquillage se déplace en moyenne d’environ 30 km vers le nord chaque décennie.
Dans les régions les plus méridionales, comme l’étang de Thau (Hérault) ou le Bassin d’Arcachon (Gironde), les ostréiculteurs vont « essuyer les plâtres parce que ce sont eux qui vivent les plus gros épisodes de chaleur… C’est là que la conchyliculture est la plus menacée », observe le chercheur.