En Albanie, la demande ne cesse d’augmenter même si les autorités albanaises ont annoncé en début d’année leur intention d’appliquer à la lettre une loi datant de 2012 interdisant la pêche, le commerce et la consommation du coquillage.
Lithophaga lithophaga est une moule à la coquille allongée de couleur brune pouvant atteindre 8 à 9 cm. Sa consommation est interdite en France depuis 1992 et l’est aujourd’hui de la Croatie au Monténégro et à l’Albanie.
La méthode de pêche utilisée – dynamite ou marteau-piqueur – provoque de sérieux dégâts aux côtes rocheuses car cette espèce protégée vit principalement au coeur de la roche calcaire, où elle creuse des galeries, ce qui lui vaut le surnom de « moule perforeuse ».
Selon des opinions concordantes d’experts, un pêcheur de dattes de mer peut récolter jusqu’à 25 kilos de mollusques par jour, mais provoquer la dévastation d’environ 5 km de côte.
Depuis février, les autorités albanaises ont renforcé les mesures contre la pêche de l’espèce menacée, prévoyant des amendes allant jusqu’à 3.600 euros, l’arrestation des contrevenants et la confiscation des équipements.
Propriétaire d’un restaurant, Maria a ainsi payé récemment une amende d’environ 1.000 euros pour avoir été prise en flagrant délit de servir des spaghettis aux dattes de mer.
« Les autorités vont renforcer les contrôles dans les ports, les marchés et les restaurants « , assure à l’AFP le ministre de l’Agriculture et de la Gestion des Eaux Edmond Panariti.
La demande soutenue et un prix de vente élevé encouragent pourtant à braver les interdictions.
Le contrebandiers, qui revendent le coquillage en Italie, gagnent dix fois le prix d’achat en Albanie qui se chiffre à une dizaine d’euros le kilo, selon une source proche de la police.
« Tant que la demande est grande, ce travail nous fait vivre », note Edmond, un pêcheur qui en fournit chaque matin aux restaurants de Tirana.
Les coquillages pêchés en Albanie sont également troqués entre des contrebandiers albanais et italiens dans les eaux neutres contre des poissons moins chers, d’élevage et congelés d’Italie. Une contrebande florissante se développe aussi entre la Grèce et l’Albanie.
Au Monténégro voisin et en Croatie, la situation est similaire. Des amendes allant jusqu’à environ 60.000 euros ne parviennent pas à dissuader les pêcheurs.
– ‘Syndrome du fruit défendu’ –
En Croatie, les trafiquants exportaient jusqu’à récemment vers la Slovénie et l’Italie deux tonnes de dattes de mer par semaine.
En dépit des interdictions, les dattes de mer sont servies aussi bien sur la côte monténégrine que dans la région de Split (centre de la Croatie) ou encore en Istrie (nord de la Croatie).
« Nous avons affaire au syndrome du fruit défendu. Manger des dattes de mer équivaut à avoir accès à quelque chose d’interdit », dit Alen Soldo, professeur à l’Université des études maritimes de Split (Croatie).
A Durres, sur la côte albanaise, c’est la recette la plus appréciée de la clientèle qui compte des hommes politiques, des diplomates et des touristes.
« Même si la loi interdit, personne ne résiste au plaisir… Les élus locaux sont les premiers à venir et même les inspecteurs « , confie tout sourire Artur, le patron du restaurant.
« Les dattes de mer apaisent les tensions de la journée « , veut croire Drita, une femme politique.
Un peu plus loin, Hysen, un homme corpulent, plonge la tête dans une grande marmite de coquillages qu’il décortique avec les doigts.
« Manger avec les doigts, c’est le bonheur. Et en plus un bonheur à bas prix ! », ajoute-t-il en levant son verre de vin blanc, fait maison. Entre 7 et 30 euros, pour les recettes les plus raffinées.
« Nombreux sont également les ressortissants italiens qui prennent le ferry et viennent à Vlora (sud de l’Albanie) juste pour goûter les dattes de mer », explique Albana, l’épouse d’un chef de cuisine à Vlora.
Difficile d’interdire ce qui est devenue une vraie attraction pour ce pays de quelque trois millions d’habitants auxquels s’ajoutent chaque été deux millions de touristes.
Seul pays de la région où l’exploitation des dattes de mer est encore autorisée pour l’instant, la Bosnie, qui n’a que 20 km de côtes, et où les prix sont bien plus élevés : de 45 à 60 euros le kilo.
Mais là aussi, les autorités préparent une nouvelle législation pour l’interdire.
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