Après le premier ferry à propulsion diesel-électrique, Pioneer, qui circule depuis juin 2023 entre Calais et Douvres, la compagnie britannique P&O a lancé mardi son jumeau, Liberté. La moitié de sa flotte est désormais hybride.
Une autre compagnie desservant la Grande-Bretagne, la danoise DFDS, compte déployer d’ici 2030 une flotte de navires à propulsion électrique. Et la troisième, Irish Ferries, devra également s’y mettre.
Compagnies et ports de la Manche se sont en effet engagés il y a un an à créer d’ici 2030 un corridor vert où le transport maritime serait neutre en carbone, utilisant des ferries alimentés par batterie, avec des installations de recharge dans les ports.
Objectif: donner « un coup de fouet à la réalisation de l’objectif de décarbonation du secteur maritime mondial » indique DFDS.
« Réduire les émissions de CO2 est une nécessité écologique, mais cela va aussi s’imposer économiquement » avec la hausse drastique de la taxe carbone d’ici 2026, explique le directeur du port de Boulogne-Calais, Benoît Rochet.
– Prises électriques géantes –
La Manche, par où transite un tiers des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, est une route aussi fréquentée que courte: moins de 50 km séparent les deux côtes, facilitant une transition vers des ferries 100% électriques car cela nécessite une autonomie limitée.
P&O estime que ses nouveaux ferries consomment jusqu’à 40% de carburant en moins, en raison de leur moteur hybride, mais aussi de leur conception évitant les demi-tours.
Symétriques, ils sont dotés de deux cabines de pilotage, et c’est l’équipage qui passe de l’une à l’autre à chaque traversée, économisant ainsi temps et carburant.
DFDS compte pour sa part « construire six navires bas carbone, dont deux dans le détroit de Calais qui fonctionneront à l’électricité », détaille Mathieu Girardin, en charge de l’activité ferry de la compagnie danoise.
Mais les navires P&O nouvelle génération, conçus pour naviguer 100% à l’électricité à terme, fonctionnent actuellement de façon hybride, utilisant électricité et générateur diesel pour naviguer, car les ports ne sont pas encore équipés pour recharger les batteries assez rapidement.
Ils doivent pour cela installer des prises géantes de plusieurs dizaines de mégawatts. Celui de Calais entend mettre en place dans les années à venir six prises de 20 MW, soit 120 MW disponibles –quarante fois plus que ce que le port consomme actuellement en période de pointe.
– Très importants travaux –
Autre enjeu: l’approvisionnement des ports en électricité. Calais-Boulogne se targue d’un « atout géographique » de taille: la proximité de la centrale nucléaire de Gravelines, la plus grande d’Europe de l’Ouest.
Le gestionnaire de réseaux électriques français RTE planche sur la livraison de 225.000 volts au port.
Douvres n’a en revanche pas cet atout et devra prévoir de très importants travaux pour créer des lignes très haute tension.
Outre la Manche, d’autres routes courtes et fréquentées, comme le détroit de Gibraltar, sont appelés à devenir des corridors verts, dans le cadre de la déclaration de Clydebank signée lors de la COP26.
Mais la décarbonation du transport maritime sur de plus longues distances reste complexe.
« Ça commence à bouillonner avec les Jeux olympiques, on a les transports fluviaux qui s’électrisent, mais sur les navires marins on n’a pas grand chose », explique Pierre-Michel Guilcher, chercheur en hydrodynamique navale à l’ENSTA Bretagne, école d’ingénieurs spécialisée dans le maritime et la défense.
Pour cause: le gasoil fournit 25 fois plus d’énergie par kilo transporté: « 12,6 kw/kg contre 0,2 kw/kg pour un kilo de batterie lithium-ion » souligne-t-il. Pour généraliser l’électrique sur des grandes distance, il faudrait « des innovations importantes » ou « créer des systèmes hybrides véliques et électriques ».
D’autres technologies existent, comme des systèmes de propulsions à base d’ammoniac et de méthanol, mais le chemin reste long pour trouver des alternatives fiables aux hydrocarbures.
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